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La collision douloureuse entre la vie professionnelle et la perte de grossesse

Meghan Markle Sur cette photo de novembre 2019, Meghan, la duchesse de Sussex, se tient à côté de son mari lors d’une cérémonie du jour du Souvenir. Elle fait partie des femmes les plus médiatisées à avoir rendu publique sa fausse couche. (AP Photo/Matt Dunham)

Rédigé par Jennifer Dimoff, professeure adjointe, comportement organisationnel et gestion des ressources humaines, Université d'Ottawa; Jacquelyn Brady, professeure adjointe de psychologie, Université d'État de San José et  Stephanie Gilbert, professeure adjointe de gestion organisationnelle, Université du Cap-Breton. Cet article a d’abord été publié dans La Conversation, un média en ligne d'information et d'analyse de l'actualité indépendant, qui publie des articles grand public écrits par les chercheurs et les universitaires, le 20 décembre 2020.

« C’est avec le cœur brisé que nous annonçons la nouvelle que notre bébé… est né endormi. Je ne serai pas de retour au bureau avant deux autres semaines, car j’ai besoin de ce temps pour guérir, tant physiquement que psychologiquement. Merci de votre patience et de votre compréhension pendant cette période incroyablement difficile. » — Extrait d’un courriel rédigé par un gestionnaire principal d’un groupe d’experts-conseils pour informer les clients que sa première fille est mort-née.

Avec les récentes révélations de célébrités sur la perte de grossesse qui font les manchettes, y compris la lettre ouverte de Meghan, la duchesse de Sussex, dans le New York Times annonçant sa fausse couche, de plus en plus de femmes se rendent sur les médias sociaux pour faire part d’histoires semblables sur leur expérience douloureuse.

Leurs expériences communes soulignent le fait qu’une grossesse sur quatre aboutit à la perte du bébé.
 

Chrissy Teigen dans un lit d'hôpital
 

Publication Instagram de Chrissy Teigen annonçant sa fausse couche.

 

Les fausses couches et les mortinaissances (perte de grossesse avant et après 20 semaines, respectivement) sont extrêmement courantes et peuvent avoir des répercussions profondes sur le travail et la vie. Les membres du personnel qui ont perdu une grossesse sont plus susceptibles de quitter leur emploi, de changer de carrière et d’avoir une performance professionnelle réduite pendant des mois, voire des années. Pour ces membres et leurs organisations, la perte de grossesse n’est pas seulement un problème personnel, mais aussi un problème professionnel.
 

Perte de grossesse et le travail

En tant que problème de santé fortement stigmatisé, la perte de grossesse est rarement abordée ou appuyée au travail. Les employées qui perdent une grossesse peuvent retourner au travail tout en étant aux prises avec des symptômes physiques et une détresse psychologique souvent aggravée par la stigmatisation sociale, la solitude et l’isolement.

De plus, le fait de manifester de l’angoisse au travail — comme s’effondrer ou pleurer — est souvent considéré comme non professionnel. Cela signifie que la personne en question est susceptible de cacher sa douleur, ce qui peut mener à l’épuisement professionnel et nuire avec le processus de deuil.

Comme l’a dit une participante à l’une de nos études :

« Personne au travail ne veut s’en occuper, personne ne veut parler du deuil ou de ses répercussions. Tout le monde a peur de dire la mauvaise chose, et a peur que quelqu’un pleure si l’on en parle. »

En raison d’expériences comme celle-ci, les membres du personnel peuvent être moins portés à divulguer la perte d'une grossesse, ce qui les amène à souffrir en silence. Certaines employées peuvent retourner au travail alors qu'elles ne sont pas encore physiquement rétablies et se demander si elles ne sont pas responsables de la perte, ce qui entraîne des sentiments de honte, de culpabilité et de perte de confiance.

Il arrive même que des femmes fassent activement une fausse couche alors qu'elles sont au travail, sans révéler leur situation. Les membres du personnel peuvent choisir de ne pas divulguer ou discuter de la perte au travail par crainte de discrimination, de stigmatisation et d’un manque de sensibilisation. Une employée a expliqué comment elle a révélé sa perte de grossesse à son gestionnaire :

« Après ma première fausse couche, j’en ai parlé à quelques personnes au travail. Ma gestionnaire, avec qui j’avais une bonne relation, m’a demandé où j’en étais, et quand je lui ai dit que j’en étais à 14 semaines, elle m’a répondu : “Eh bien, ce n’était qu’une boule de cellules à ce moment-là, ce n’était pas encore un bébé.” Pour moi, ce n’était pas du tout une boule de cellules, c’était un bébé et j’avais entendu son cœur battre. »

Des réponses semblables se retrouvent partout sur les médias sociaux. Vous n’avez qu’à lire les commentaires à la suite de la page éditoriale de Meghan dans le New York Times ou sous l’une des photos Instagram de Chrissy Teigen décrivant sa récente perte de grossesse.

Ces commentaires reflètent la croyance sociétale selon laquelle la perte de grossesse n’est pas une perte légitime et qu’un enfant pas encore né signifie qu’on ne l’aime pas. Par conséquent, les membres du personnel qui subissent ce type de perte peuvent se voir refuser le soutien dont ils ont besoin.


Soutenir les membres du personnel pendant la perte de grossesse   

Bien que la plupart des employeurs soient très mal équipés pour soutenir leur main-d'œuvre après une perte de grossesse, ils ont le pouvoir de changer.

A woman crying and another person supporting herLes employeurs peuvent prendre des mesures pour faire preuve de plus de compassion et de soutien. (Polina Zimmerman/Pexels)  


Les employeurs ont tout à gagner en apportant leur soutien aux employées ayant perdu leur grossesse et en s'attaquant à la stigmatisation qui y est associée.

Ce faisant, les employeurs peuvent améliorer la rétention, promouvoir des résultats positifs au travail et appuyer la santé et le bien-être de ces personnes. Un tel soutien pourrait comprendre les éléments suivants :

  1. Adopter des options de congé de maternité, parental ou de deuil qui tiennent compte de la perte de grossesse;

  2. Établir des politiques et des pratiques qui permettent de cerner les besoins particuliers du personnel endeuillé et d’y répondre;

  3. Offrir un accès gratuit au soutien psychologique et rappeler l’existence de ces ressources au personnel récemment endeuillé;

  4. Créer une culture psychologiquement sécuritaire où le personnel peut divulguer la perte de grossesse et d’autres sujets stigmatisés sans crainte de répercussions;

  5. Former les superviseurs sur la meilleure façon d’appréhender le deuil et de soutenir le personnel en deuil.

Grâce à ces efforts, les employeurs pourront peut-être atténuer les souffrances causées par la collision inévitable entre la perte et le travail.

Note des autrices : Il est nécessaire d’approfondir les recherches sur les expériences professionnelles des employées à la suite d’une perte de grossesse et sur la manière dont les pratiques organisationnelles actuelles influencent leur travail et les résultats en matière de bien-être. Pour participer à cette recherche ou en savoir plus, veuillez communiquer avec nous à l’adresse courriel suivante : stephanie_gilbert@cbu.ca.