Par un après-midi gris d’octobre, derrière le campus King Edward de l’Université d’Ottawa, le bruit des perceuses couvrait presque celui de la circulation. Des planches de bois récupéré étaient empilées avec soin. On enfilait des gants, on refermait des rubans à mesurer, et un groupe d’étudiants en science politique, qui ne se connaissaient pour la plupart que par leurs noms d’utilisateur en ligne, se préparait à construire quelque chose de bien réel.
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À la fin de la journée, de nouveaux bacs de jardin suryclés prenaient forme dans le jardin communautaire : solides, carrés et prêts pour le printemps. Mais pour les personnes qui ont dirigé le projet, une autre chose a surtout pris racine : la communauté.
Transformer un cours en ligne en expérience concrète
Cet automne, l'Académie Verte de Telfer a appuyé une initiative d’apprentissage expérientiel sur plusieurs jours menée en partenariat avec la professeure Stephanie Mullen (Faculté des sciences sociales), le programme d’Apprentissage par engagement communautaire (AEC), le Club de Surcyclage et le Bureau du développement durable du campus.
Dans le cadre du cours POL 2156 : Atelier de recherche appliquée, plus de 60 étudiants ont participé à des ateliers

pratiques où ils ont conçu, construit et préparé de nouveaux bacs pour le jardin communautaire de l’Université d’Ottawa. Au printemps, ces bacs deviendront de véritables salles de classe vivantes, accueillant ateliers, séances de plantation et projets de durabilité dirigés par les étudiants. Pour Carlos Zapata, spécialiste des partenariats et de l’engagement communautaire au sein du programme AEC, l’enjeu était clair : les cours en ligne rendent les interactions significatives plus difficiles.
« Mon rôle consiste, grâce à des collaborations réfléchies et réciproques, à créer des espaces où les étudiants peuvent s’investir pleinement dans la vie institutionnelle, publique et communautaire », explique-t-il. «Toutefois, les cours en ligne présentent souvent des défis pour favoriser ce type d’engagement.»
Carlos, la professeure Mullen et Maximilian Benda (responsable du Club de surcyclage) se sont donc assis pour imaginer un projet différent, capable d’offrir à une large cohorte d’étudiants en science politique un apprentissage pratique et transformateur. Ils voulaient que les étudiants vivent ce que signifie construire quelque chose qui leur perdurerait.
« Pour moi, l’innovation consiste à transformer un défi en occasion », ajoute Carlos. « Je voulais montrer que l’engagement communautaire peut faire partie intégrante d’un cours en ligne. Sinon, seuls certains étudiants ont accès à ce type d’expérience. »
De bacs de jardin en décomposition à un pari audacieux
L’idée est née d’un constat simple. Comme beaucoup de jardins d’Ottawa, le jardin communautaire de King Edward repose sur l’énergie de bénévoles et bénéficie de très peu de financement. Lorsque les bacs en bois pourrissent, il n’y a souvent pas d’argent pour les remplacer. Résultat : moins de parcelles disponibles, des listes d’attente plus longues et moins d’aliments produits localement.
Max a vu le problème… et une occasion d’agir.
« J’aime rassembler les gens et construire des choses », raconte-t-il. « J’ai toujours été intéressé par la construction et j’ai fait un pari audacieux : je pouvais apprendre à n’importe qui comment utiliser une perceuse et une scie. »

Ce pari a été mis à l’épreuve avec plus de 60 étudiants lors d’une série d’ateliers pratiques planifiés en avril, peaufinés durant l’été, puis concrétisés lors des séances des 25 septembre, 23 octobre et 10 novembre, avant un grand ménage final le 30 novembre.
Et il s’est avéré juste. Des étudiants qui n’avaient jamais touché un outil électrique découpaient, perçaient et assemblaient des cadres en toute sécurité en l’espace d’un après-midi.
« Observer les étudiants construire quelque chose pour leur communauté tout en tissant des liens entre eux a été particulièrement significatif pour moi », confie Max.
« Nous n’étions plus des étrangers »
Ce qui a marqué Max et Carlos n’est pas seulement ce qui a été construit, mais ce qui s’est construit entre les étudiants. Plusieurs d'entre eux avaient suivi la majorité de leur programme en ligne. Certains n’avaient jamais rencontré de camarades de leur propre discipline.
« À mi-chemin du premier atelier, j’ai demandé s’ils se connaissaient avant, et ils ont unanimement répondu non », raconte Carlos. « J’ai été vraiment surpris, car leurs interactions donnaient l’impression qu’ils se connaissaient depuis des années. »
Des étudiants arrivés en étrangers sont repartis comme coéquipiers. Un groupe a même décidé de former une équipe de flag-football pour les intramuraux du semestre suivant. D’autres ont rejoint le Club de surcyclage, transformant une exigence de cours en un engagement communautaire durable.
Apprendre la durabilité les mains dans la terre

Le projet a aussi ouvert la porte à des discussions profondes sur la durabilité, enracinées dans le jardin lui-même. Lors d’une séance, un voisin est venu cueillir des légumes. Ce moment simple s’est transformé en séminaire improvisé.
Les étudiants ont rapidement élargi leur réflexion : rôle des jardins urbains dans le soutien aux pollinisateurs, contribution à la production alimentaire locale dans un contexte d’insécurité croissante, réduction des impacts environnementaux liés au transport et au gaspillage alimentaire.
« Entendre les étudiants réfléchir à ces enjeux et comprendre la vision plus large de la durabilité a été extrêmement gratifiant », affirme Carlos. « Cette activité a non seulement approfondi leur compréhension, mais montré comment l’apprentissage expérientiel peut nourrir une pensée critique face aux défis mondiaux. »
« Plus qu’un cours, quelque chose dont j’ai fait partie »
Pour les étudiants, l’impact a été réel.
« Participer au programme AEC dans le cadre de mon cours de science politique m’a offert une occasion unique d’obtenir des crédits tout en m’impliquant activement dans la communauté », explique Humaira Patel, étudiante en science politique. « Construire des bacs et participer au nettoyage m’a permis de faire partie d’une équipe travaillant vers des initiatives utiles! »
Pour Myles Karpiuk, étudiant en philosophie et en science politique, l’expérience a dépassé le cadre du cours.
« Faire un AEC en personne avec le Club de surcyclage a été formidable, et une très belle introduction au club », partage-t-il. « J’ai tellement aimé que j’ai fini par m’y joindre! Max et Carlos ont été d’excellents organisateurs, très accueillants, et ils ont su s’adapter à la pluie pour que tout le monde se sente inclus. Je le recommande sans hésiter! »
Ce sont là des résultats rarement visibles dans les évaluations de cours, mais qui façonnent profondément l’expérience étudiante et leur sentiment d’appartenance au campus.
Semer les graines de ce qui vient
Grâce à l’appui de l'Académie Verte, ce projet ne se veut pas un événement isolé.
Une idée émergente : utiliser des matériaux de construction récupérés pour bâtir de petites maisons destinées aux personnes en situation d’itinérance, réunissant surcyclage, logement, entraide et construction communautaire dans une même initiative.
« Pour nous, l’avenir signifie plus d’impact, plus de travail et davantage de partenaires communautaires », affirme Max.
Carlos voit dans ces bacs un prototype du type d’écosystème d’apprentissage qu’il souhaite bâtir.
« Je crois fermement qu’il faut un village pour créer une société prospère, durable et équitable », dit-il. « Ma vision de l’avenir ressemble à cette initiative : un groupe diversifié de personnes qui, grâce à la collaboration et à un objectif commun, travaillent ensemble pour améliorer un peu le monde, pas à pas, projet après projet. »
En 2026, lorsque la neige fondra et que les premières pousses sortiront de terre, ces bacs surcyclés seront prêts, attendant non seulement des semences, mais aussi une nouvelle cohorte d’étudiants prêts à retrousser leurs manches, se rencontrer pour la première fois et découvrir ce que signifie bâtir quelque chose qui dure.


Cet article fut rédigé par Takwa Youssef, coordonnatrice de l'Académie verte à Telfer.
En tant que coordonnatrice de l'Académie verte, Takwa joue un rôle clé dans le soutien à la mise en œuvre des programmes interdisciplinaires de l’académie. Elle supervise la logistique, la coordination des événements et la gestion des ressources, assurant l'exécution réussie des cours, ateliers, formations et recherches. Takwa établit des ponts entre les facultés, les services et les partenaires externes, cultivant la collaboration pour enrichir l'impact du programme. Elle gère la communication, les finances et l’administration, tout en contribuant à la vision à long terme de l’académie en renforçant les liens entre les disciplines et en soutenant sa croissance continue.

