Selon le professeur Ika de l’École Telfer, « si le lieutenant-colonel John By avait su d’entrée de jeu qu’il devrait faire face à tant de difficultés, il n’aurait probablement jamais achevé ni même entrepris le Rideau Canal ».
Plus tôt en 2018, la Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton (OC Transpo) annonçait des retards dans ce qui est actuellement le plus important projet d’infrastructures à Ottawa, soit la ligne de la Confédération du réseau de train léger,. Cette nouvelle, qui n’a pourtant rien de surprenant, a néanmoins fait les manchettes et suscité de vives discussions dans les médias sociaux.
En réalité, nombre de projets dépasse les délais et les budgets prévus, et ne répond pas aux attentes. Les décideurs ont donc de bonnes raisons de s’inquiéter des sous-estimations et de l’excès d’optimisme de ceux qui conçoivent et mettent en œuvre de grands projets dans le secteur public. Dans ce contexte, la question se pose : cet optimisme exagéré est-il une bonne ou une mauvaise chose ?
Un mal pour un bien
Dans une récente étude publiée dans World Development, une revue de premier plan en développement international, le professeur Lavagnon Ika de l’École de gestion Telfer suggère que la sous-estimation des difficultés d’un grand projet est parfois souhaitable.
En effet, certains décideurs dits « pessimistes » préfèrent abandonner un projet dès le départ en raison des nombreux obstacles, tandis que leurs homologues plus « optimistes » vont se lancer dans un tel projet en faisant appel à leur créativité et réussissent à le mener à terme contre toute attente.
Tirer des leçons de l’histoire
L’histoire des mégaprojets regorge de cas comme celui du canal Rideau à Ottawa, cette merveille d’ingénierie qui figure aujourd’hui parmi les sites du patrimoine mondial de l’UNESCO a frôlé la catastrophe. En 1826, le lieutenant-colonel John By, membre des British Royal Engineers, amorce la supervision de la construction d’une route d’approvisionnement et de communication sécuritaire entre Montréal et Kingston.
Croyant avoir choisi la solution la plus rapide et la plus économique, le colonel By propose la construction d’un système de canal à plans d’eau. Les choses se compliquent néanmoins rapidement pour son équipe, qui se voit obligée de construire non seulement des écluses, mais également des barrages de régulation des eaux.
La suite des événements n’est que trop familière aux gestionnaires de projet d’aujourd’hui : des dépassements de coûts et des retards importants finissent par transformer le projet du canal Rideau en véritable cauchemar. Envers et contre tout, le colonel By réussit pourtant à construire le canal. Selon le professeur Ika, « s’il avait su d’entrée de jeu qu’il devrait faire face à tant de difficultés, il n’aurait probablement jamais achevé ni même entrepris ce projet ».
Soyez créatif et prenez des risques, tout en apprenant de vos erreurs
Une approche trop optimiste durant la phase de planification d’un projet a le mérite de stimuler les gens à relever le défi et à lancer le projet. Elle facilite également la suite des choses, lorsque les chefs de projet se rendent compte qu’un projet est plus complexe que prévu : « Leur détermination est telle qu’ils s’attaquent aux problèmes et réussissent, contre toute attente, à mener à bien le projet », explique le professeur Ika.
Le professeur conseille donc aux planificateurs et aux gestionnaires de projet de ne pas se restreindre aux approches conservatrices, qui dominent actuellement la pratique de la gestion de projet. Voici quelques conseils visant à adopter, au bon endroit et au bon moment, des approches plus risquées :
- Soyez entrepreneurial et créatif : la créativité est une compétence importante en gestion de projet.
- Évitez de faire preuve d’une prudence excessive : cette attitude entrave votre potentiel créatif et nuit à votre capacité de surmonter des obstacles au moment de la mise en œuvre d’un projet.
- Apprenez à prendre des risques en tirant des leçons de vos erreurs : vous serez ainsi mieux à même de gérer les nouveaux risques et de faire la part entre ceux qui sont acceptables et ceux qui relèvent de l’impossible.
Ika, Lavagnon A. (2018). Beneficial or Detrimental Ignorance: The Straw Man Fallacy of Flyvbjerg’s Test of Hirschman’s Hiding Hand. World Development, 103: 369-382.