Samia Chreim a été nommé Professeure Ian Telfer en Études des organisations de soins de santé. Ses recherches aident à mieux comprendre la dynamique du changement organisationnel, de l’intégration des organisations et de la collaboration entre professionnels. Elle a dit récemment que l’évolution future des organismes de santé demandera notamment des coalitions gagnantes de professionnels ayant des compétences et des ressources complémentaires.
En quoi les organisations de soins de santé sont-elles différentes des autres types d’organisation?
SC : Les pressions sont grandes, actuellement, pour que le système de soins de santé devienne plus performant. On demande fréquemment aux professionnels de ce secteur de s’adapter ou de modifier leur façon de travailler pour prodiguer de meilleurs soins aux patients. Mais les professionnels de la santé doivent atteindre différents objectifs professionnels; ils ont des rôles, des cultures et des intérêts différents. Les conflits sont inévitables.
Imaginez qu’une autorité sanitaire confie une procédure particulière à un groupe. Un autre groupe en était exclusivement responsable jusqu’à là. Quiconque perçoit une perte d’autonomie ou de pouvoir risque de résister énergiquement au changement.
D’autres changements deviennent problématiques simplement parce qu’ils dérangent les pratiques habituelles. Prenons l’exemple de la déclaration des incidents concernant la sécurité des patients. Un hôpital dont l’unité de soins primaires a mis en place un système efficace pour ce faire pourrait souhaiter que ce système soit adopté par une autre unité, l’équipe de santé mentale par exemple. Cela s’avérera parfois impossible du fait des différences de cultures et de pratiques professionnelles.
Que peuvent faire les gestionnaires pour faire en sorte que les changements nécessaires soient mis en œuvre?
SC : L’une de mes études portait sur la collaboration entre organisations de soins de santé dans un contexte de soins primaires. Ces recherches ont montré que, pour réussir à apporter des changements, les gestionnaires doivent créer une coalition gagnante de professionnels et d’employés ayant des compétences et des ressources complémentaires. Mais pour ce faire, il est nécessaire d’établir des « terrains d’entente », de créer un climat de confiance et de renforcer la crédibilité du processus de changement.
Il faut par conséquent une personne dont le travail est de gérer le processus de changement. Cette approche sera en bout de ligne plus efficace que si l’on demande à des praticiens des soins de santé déjà très occupés de se charger de la gestion du changement en plus de leurs tâches. S’il n’y a pas personne réellement responsable du processus, il y a de fortes chances que le changement perde de son importance dans l’esprit des gens et que l’enthousiasme tombe.
Quel style de gestion, quelle approche, faudrait-il encourager, compte tenu de la nécessité de rassembler les professionnels et le personnel autour d’un changement important?
SC : Les recherches montrent qu’il est bon d’avoir un petit nombre de personnes (des gestionnaires et des professionnels) ayant des compétences et des ressources complémentaires pour ce qui est de mener à bien des changements organisationnels majeurs . Mais cette approche est parfois source de confusion. Il peut y avoir des ambiguïtés sur les responsabilités des uns et des autres, d’où la duplication des efforts ou l’oubli de certaines tâches qui passent entre les mailles du filet. J’ai aussi étudié des organisations où des conflits insolubles ont surgi entre les membres d’un groupe de gestion et par conséquent leurs équipes ont beaucoup été affectées.
Les risques associés à ces scénarios font l’objet d’un vif débat sur la manière dont le leadership devrait être organisé, en particulier sur la nécessité ou non de partager ou distribuer le leadership, et sur la façon de le faire. Le leadership partagé s’applique à différents niveaux, par exemple au sein d’équipes, d’organisations et de collaborations interorganisationnelles. Les processus de gestion du changement, comme le besoin d’intégration entre les équipes de soins de santé, nécessitent parfois un leadership partagé. D’un autre côté, comme je l’ai mentionné, le leadership partagé n’est pas forcément une panacée. Il n’y a pas de formule magique pour savoir quand et comment le leadership peut être partagé et quel type de leadership collectif convient dans un contexte donné de changement organisationnel. Ce sont des problèmes complexes observés au sein des organismes de santé qui restent encore à résoudre.