La performance RSE d’une entreprise dépend-elle avant tout de sa localisation?
Les entreprises des pays scandinaves, comme le Danemark, affichent aujourd’hui les meilleures performances sociales et environnementales. Pixabay, CC BY-SA
La performance sociale et environnementale constitue aujourd’hui un enjeu crucial, non seulement pour les entreprises mais également pour les investisseurs, les régulateurs et les différents gouvernements à travers le monde.
Des études montrent en effet que la performance en termes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dépend en grande partie du cadre institutionnel et des régulations des États. En effet, des lois plus strictes en la matière favorisent la prise en compte des enjeux RSE dans la stratégie de l’entreprise.
Toutefois, nous observons également que les dirigeants adoptent – volontairement ou sous pression – des initiatives visant à réduire l’impact environnemental et promouvoir des bonnes pratiques sociales dans la gestion de l’entreprise. En France, le groupe Vinci a ainsi annoncé récemment qu'il demanderait à ses actionnaires de donner leur avis consultatif sur son plan de transition environnementale lors de sa prochaine assemblée générale.
De même, Safran a nommé un administrateur référant en charge des questions climatiques au sein de son conseil d’administration. À l'image de ces deux exemples, un nombre croissant d’entreprises à travers le monde inclut des critères extra-financiers, liés au climat et à la diversité, dans la rémunération incitative de leurs dirigeants.
Quels sont les facteurs qui entretiennent cette tendance? Quelle est l'influence réelle du cadre étatique, de l'entreprise en elle-même et de son dirigeant? Comment s'articulent-ils ces facteurs?
Un effet de cascade direct
Pour répondre à ces questions, nous nous sommes d'abord intéressés recherche aux effets de cascade entre ces trois niveaux (État, entreprise, dirigeant). En effet, une régulation étatique en faveur de la RSE pourrait avoir un impact sur les mécanismes de gouvernance et incitatifs, et ainsi, indirectement, sur la performance RSE.
Nous avons également cherché à comprendre l’importance relative de chacun des niveaux. Autrement dit, si la régulation joue un rôle majeur, les décisions à l’échelle de l’entreprise n’auront que peu d’impact réel sur sa performance RSE et seront d’un faible enjeu, sinon d’image.
Pour cela, nous avons obtenu les données de 1 272 entreprises opérant dans 20 pays. Nous avons ensuite testé un modèle qui permet de comparer les effets relatifs de chaque niveau et les impacts à la fois direct et indirect des niveaux États, entreprises et dirigeants sur la performance RSE.
Pour ce qui est des effets directs, il ressort de notre analyse que, sans surprise, ce sont des pays comme le Danemark ou la Suède, dont les cadres institutionnels et législatifs sont plus favorables à la RSE, qui affichent les meilleures performances sociales et environnementales.
Cependant, ce cadre n'explique pas tout, car le fait que l’entreprise même ait une gouvernance orientée RSE a un coefficient d'influence quasiment comparable. Nous relevons en outre qu'à l'échelle du dirigeant, l’incitation financière offerte pour l’atteinte d’objectifs RSE a également un effet significatif, mais beaucoup moindre.
La France, quant à elle, se situe dans la partie des pays engagés envers les différentes parties prenantes, notamment au regard de certains pays anglo-saxons (États-Unis, Royaume-Uni), asiatiques (Japon, Hongkong) ou européens (Espagne, Italie). On peut ainsi penser que la bonne performance RSE des entreprises françaises n’est pas étrangère à ce cadre institutionnel favorable. Mais ce dernier pourrait être encore plus propice à la RSE, comme l’illustrent les excellentes performances des pays scandinaves.
Un effet de cascade indirect
Par ailleurs, nous dévoilons clairement un effet indirect de cascade entre les différents niveaux. En effet, la régulation du pays a non seulement une influence directe sur la performance RSE, mais aussi une influence indirecte. Elle favorise une gouvernance RSE dans les entreprises et l’inclusion des critères extra-financiers dans la rémunération du dirigeant, ce qui va ensuite influencer la performance RSE.
Ainsi, la forte orientation des cadres danois ou suédois a un impact très significatif sur la performance de la RSE des entreprises. Celles-ci peuvent donc, en adoptant des politiques internes à l’échelle de leur gouvernance et des incitations financières, tirer parti des effets à la fois directs et indirects pour optimiser leur performance RSE.
Pour une entreprise située dans un pays où le cadre n'est pas orienté aussi favorablement, comme les États-Unis ou la Corée du Sud, tout n’est pas perdu pour autant. En effet, des choix judicieux en termes de gouvernance RSE et de politique de rémunération peuvent plus que compenser l'absence ou la faible réglementation pour obtenir des niveaux de performance RSE plus même plus élevée qu’une entreprise située dans un pays orienté vers les parties prenantes mais qui ne réaliserait aucune politique à son échelle.
Ainsi, même si le contexte institutionnel est particulièrement important, les entreprises ne peuvent se dédouaner de leur propre responsabilité. Elles disposent d'une latitude importante à leur échelle pour améliorer leur performance RSE. Comme le montre cette recherche, l'intégration de comités RSE au sein des conseils d’administration et l'indexation de la rémunération des dirigeants sur les critères extra-financiers sont notamment des décisions qui favorisent la performance sociale et environnementale des entreprises.
Cette contribution s'appuie sur l'article de recherche intitulé « How do firms achieve corporate social performance? An integrated perspective » de Walid Ben-Amar (University of Ottawa), Claude Francoeur (HEC Montréal), Sylvain Marsat (Université Clermont Auvergne) et Aida Sijamic Wahid (University of Toronto) publié en janvier 2021 dans la revue « Corporate Social Responsibility and Environmental Management ».