Entreprises familiales : quand les inégalités hommes-femmes plombent la relève
Une étude récente de l’École de gestion Telfer met en lumière les effets des préférences de genre dans la préparation ainsi que la formation et le cheminement professionnels de la relève des entreprises familiales.
Il n’est pas rare d’observer au sein des familles entrepreneuriales une préparation de la relève contrastante en fonction du genre. Peter Jaskiewicz, James Combs et Sabine Rau, membres du corps professoral de l’École de gestion Telfer, présentent une étude expliquant l’influence des inégalités hommes-femmes sur les stratégies de succession au sein d’entreprises familiales multigénérationnelles.
Certaines familles prédisposent différemment leurs fils et leurs filles à une éventuelle participation dans l’entreprise familiale. Une telle éducation a des conséquences durables, même chez les enfants qui ne travaillent pas pour l’entreprise ou vouent leur passion entrepreneuriale autre part.
Soutien déficient aux filles
Des conversations avec 24 enfants adultes issus de familles entrepreneuriales ont révélé que :
- Sept des neuf fils interrogés (78 %) ont fait carrière comme entrepreneurs.
- Seulement une des 15 filles (7 %) interrogées a reçu une formation entrepreneuriale et est devenue entrepreneure.
- Les filles n’étaient pas encouragées à se former en entrepreneuriat, à acquérir de l’expérience en affaires, ni à lancer de nouvelles entreprises.
- Les familles ont offert un soutien financier ou un financement de départ aux fils qui souhaitaient créer une nouvelle entreprise, mais pas aux filles.
Dans bien des cas, on transmet des valeurs entrepreneuriales aux fils, pour qu’ils reprennent l’entreprise, assument des fonctions de direction ailleurs ou lancent leur propre entreprise. Pour les filles, rien ou presque n’est mis en œuvre pour qu’elles développent leur sens du leadership et leur esprit d’entreprise.
L’équipe a également découvert quelques faits surprenants :
- Même dans certaines des familles les moins traditionnelles étudiées, les filles ne bénéficiaient pas de soutien financier à l’entrepreneuriat, malgré une formation en commerce et une expérience pertinente dans le domaine à leur CV.
- L’appui pour l’accession à la direction de l’entreprise familiale ou le lancement d’une entreprise n’était consenti à une fille qu’en l’absence d’un fils.
De vieilles traditions tenaces
L’équipe de recherche s’est demandé pourquoi les filles reçoivent un appui moindre, même dans les entreprises familiales prônant la transmission de l’héritage entrepreneurial. Elle a par ailleurs souligné que la fondation de nombre des entreprises multigénérationnelles étudiées remonte à plusieurs siècles. Au vu de l’exclusion systémique des femmes du pouvoir dans la religion, le droit et la famille, Peter Jaskiewicz estime que « la mentalité est si profondément ancrée que certaines familles l’adoptent naturellement ».
Exemples concrets d’inégalités hommes-femmes
Emma O’Dwyer, directrice régionale de Family Enterprise Canada, et Susan St. Amand, fondatrice, présidente et cheffe de la direction de Sirius Group Inc. et de Sirius Financial Services, viennent de familles entrepreneuriales. La première reconnaît combien il peut être difficile pour les membres de la nouvelle génération de reconnaître les traditions ou de les remettre en question. « Les inégalités de genre peuvent s’incarner dans les interactions familiales au quotidien. Comme enfant, on n’y voit que du feu parce qu’on baigne dedans », explique-t-elle.
Chez Susan St. Amand, « la fille devait prendre époux, puis rester à la maison pour élever les enfants et petits-enfants ». Dans la famille O’Dwyer, les garçons étaient bien plus encouragés à se perfectionner dès leur plus jeune âge. « Dès l’âge de 14 ans, ils occupaient leurs étés à travailler pour la famille. C’était normal. »
Des conséquences à long terme chez les femmes
Pour Peter Jaskiewicz, « les familles doivent comprendre que les hommes profitent d’avantages qui découragent les femmes de laisser leur marque dans l’entreprise familiale ou de poursuivre l’expérience entrepreneuriale ailleurs ». Voilà qui limite l’apport des femmes.
Il estime également que les inégalités sexistes ont de persistantes conséquences. « Même quand elles ont des occasions de se former et s’emploient à lancer une entreprise, les femmes ne faisant pas partie d’une relève d’entreprise familiale doivent trimer dur pour se doter du bagage nécessaire à l’entrepreneuriat », déplore-t-il.
Beaucoup de femmes ne se lanceront pas en affaires à l’extérieur de l’entreprise familiale en raison du peu de soutien émotionnel et financier qu’elles y ont reçu.
« Parfois, en ne rentabilisant qu’à 50 % la génération suivante, la “famille traditionnelle” paie le fort prix », conclut Peter Jaskiewicz.
En savoir plus
James G. Combs, Peter Jaskiewicz, Sabine B. Rau et Ridhima Agrawal. Inheriting the legacy but not the business: When and where do family non-successors become entrepreneurial? (en anglais). Journal of Small Business Management.
Peter Jaskiewicz est professeur titulaire à l’École de gestion Telfer où il est également titulaire d'une Chaire de recherche de l’Université en Entrepreneuriat durable. Sa recherche met l'accent sur l'entrepreneuriat et l'entreprise familiale. Apprenez-en davantage sur ses travaux.
Sabine Rau est professeure invitée à l’École de gestion Telfer et à l'ESMT de Berlin. Elle est également associée à Peter May Family Business Consulting. Ses recherches portent sur l'intersection entre la famille et l'entreprise familiale.
Jim Combs est professeur invité l’École de gestion Telfer et professeur titulaire à l'Université de Central Florida. Ses recherches met l'accent sur le franchisage, le rôle de la dynamique familiale dans les entreprises familiales et les facteurs qui favorisent un l'esprit d'entreprenariat dans les entreprises familiales. Apprenez-en davantage sur ses travaux.