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Un appel au changement : intégrer la sagesse autochtone dans les études en gestion

Monument autochtone à uOttawa

J’ai eu le privilège dernièrement d’assister à la conférence inaugurale de l’Académie internationale de recherche sur la gestion et l’étude des organisations autochtones à l’École de gestion Telfer, qui était organisée par la professeure Ana María Peredo, chercheuse métisse péruvienne titulaire de la Chaire de recherche du Canada en entrepreneuriat social et inclusif. J’en suis sortie avec la conviction qu’il est urgent d’enfin nous ouvrir les yeux sur tout ce que les savoirs autochtones ont à nous apporter, en particulier études en gestion et des organisations.

Dans les domaines de la gestion et de l’économie, le manque de reconnaissance à l’égard des travaux de chercheuses et chercheurs autochtones a toujours fait obstacle à l’intégration du savoir autochtone dans le milieu de la recherche. L’Académie offre cependant un lieu de rassemblement, d’échanges et de discussions au sujet des idées novatrices et des enjeux critiques au cœur de la recherche « par, pour et avec les communautés autochtones ». Bon nombre de chercheuses et chercheurs en début de carrière désirent plus que tout collaborer avec des collègues du même domaine qui comprennent l’importance d’honorer la culture et les traditions des communautés autochtones et des Premières Nations, et de faire rayonner leurs contributions aux études en gestion et des organisations.

Un changement de discours plus que nécessaire

Les personnes venues parler de leurs travaux et de leur expérience ont fait valoir l’importance des savoirs autochtones dans la recherche de solutions durables et la gouvernance, notamment en notamment d’environnement, d’équité et de résilience collective. Il a été question de la profonde sagesse qui sous-tend les connaissances et le mode de vie autochtones, de la nécessité d’engager un dialogue sur l’autodétermination des peuples autochtones et d’autres sujets tout aussi passionnants. La question de l’organisation sociale autochtone s’est invitée dans les débats sur les relations cruciales avec les grandes multinationales, et les thèmes de l’identité culturelle, de la tradition, de la langue et de l’éducation ont enrichi toutes les conversations. Les liens étroits qui unissent les perspectives autochtones soulignent avec force l’intégration profonde de leurs systèmes de connaissance, qui sont de précieux outils pour la recherche de solutions globales aux problèmes complexes de notre monde moderne.

Il était grand temps d’aborder ces questions. Il y a des dizaines d’années que les points de vue et les méthodes autochtones sont balayés sous le tapis. Le milieu universitaire, en particulier, s’enferme depuis longtemps dans une bulle autosuffisante, perpétuant des théories et des méthodes certes fondamentales, mais qui rejettent toute autre forme de savoir. Et c’est sans compter les conséquences désastreuses et omniprésentes de la « recherche » coloniale sur les peuples autochtones et des Premières Nations. L’Académie déploie son énergie collective vers un tout autre but : éveiller les consciences pour ouvrir les esprits dans le milieu universitaire. Loin d’un simple exercice théorique, il s’agit de provoquer un changement social concret. Les points de vue autochtones, si on leur accorde l’importance qu’ils méritent, ont le pouvoir de transformer notre vision des études en gestion, mais aussi de la société en général.

Une approche globale

La littérature issue de la recherche occidentale en sciences de la gestion mesure la réussite sous le seul angle du bien-être économique. Les traditions autochtones nous apprennent au contraire que cette variable est reliée à la communauté, à la santé, à la terre, à l’eau, à la justice et même à la spiritualité. Pour mettre en valeur cette vision globale du bien-être, la conférence de deux jours et demi a fait la part belle aux traditions autochtones. 

Lors de la cérémonie d’ouverture, les places étaient disposées en cercle, un puissant symbole d’unité et de relations égalitaires. Dans son mot d’ouverture, l’aînée Jane Chartrand nous a rappelé notre responsabilité collective de protéger la terre et l’eau. Le cercle a pris un caractère métaphorique, représentant la « relationnalité », pierre angulaire de la philosophie autochtone, soit un sens profond que les bonnes relations, celles avec la terre, avec les gens et avec soi-même, sont essentielles, et au cœur de notre humanité.

Cercle des participantes et participants à la conférence IARIMOS
 
Contrairement aux idées fragmentées qui dominent le discours universitaire, les perspectives autochtones placent la personne à l’intérieur d’un système interconnecté – et cette révélation pourrait bien changer radicalement notre façon de voir la gouvernance, la politique sociale et tout le reste.

Quand l’aigle rencontre le condor

L’émotion était palpable dans l’assistance lorsque Claudette Commanda, première chancelière autochtone à l’Université d’Ottawa, a fait son entrée.

Chancelière d'uOttawa Claudette Commanda et professure Ana Maria Peredo de TelferLa nouvelle chancelière a rappelé la marginalisation des communautés autochtones en éducation et dans les universités, qui perdure encore aujourd’hui. Elle a plaidé en faveur de l’inclusion des voix autochtones, tout en appelant à bien distinguer les savoirs traditionnels locaux, pour ne pas tomber dans la généralisation et les stéréotypes. Par ailleurs, elle a exhorté les gens à travailler main en main pour promouvoir les changements systémiques nécessaires, ainsi que la reconnaissance et la résurgence autochtones.

Évoquant une prophétie ancestrale, la chancelière Commanda a comparé l’événement avec la rencontre entre l’aigle et le condor, elle-même représentant l’aigle du Nord, et la professeure Ana María Peredo incarnant le condor du Sud, formant ensemble une union symbolique qui a profondément résonné dans l’assistance. Le message était clair.

Pour la réconciliACTION

Tandis que les discussions sur la diversité, l’équité et l’inclusion se poursuivent dans une tour d’ivoire, la chancelière a lancé une réflexion sur la « réconciliACTION ». Ce mot-valise réunit les deux facettes de la réconciliation, soit la reconnaissance des torts causés et la participation active à leur redressement. L’adoption d’un point de vue autochtone implique de prendre en considération toute la mosaïque des relations humaines, leurs dimensions éthiques et les liens avec la terre, qui sont absents de la plupart des théories occidentales de la gestion.

La chancelière a ensuite invité le groupe à se replonger dans l’histoire précoloniale et préeuropéenne pour apprécier l’étendue de la richesse des systèmes de connaissance autochtones. Pour les intégrer à la recherche, il est primordial de se mettre à l’écoute des personnes aînées, des gardiennes et gardiens du savoir et des autres membres des communautés autochtones. Rongo Wetere, aîné et enseignant maori, a souligné qu’il faut octroyer des ressources, du financement et du soutien pour favoriser le rayonnement des savoirs autochtones.

Et ensuite?

Nous sommes sur le point d’enclencher une transformation majeure. Il faut continuer de faire valoir les perspectives, les méthodes et les visions autochtones à l’université et dans l’ensemble de la société. La conférence a donné le coup d’envoi d’un parcours qui sera long. Nous devons poursuivre sur notre lancée, multiplier les soutiens et surtout, veiller à ce que les connaissances acquises soient intégrées dans nos programmes, nos activités de recherche et notre façon d’être.

N’oublions jamais que nos aspirations ne relèvent pas uniquement de la théorie. Nous voulons redéfinir les politiques, influencer les organisations et améliorer des vies. Nous voulons redonner à la sagesse autochtone la place qui lui revient, non plus en marge, mais au centre de notre travail. Si vous souhaitez prendre part à ce vaste mouvement, gardez un œil sur les activités de l’Académie. Plus qu’une évolution des universités, c’est une révolution sociale qui s’amorce. Embarquez.

Noora KassabCet article a été rédigé par Noora Kassab, étudiante de cycle supérieur et assistante de recherche à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa. Titulaire d’un baccalauréat en sciences de l’Université Trent et d’un baccalauréat en sciences commerciales de Telfer, elle possède, en plus d’une solide formation, une grande expérience pratique accumulée dans ses précédents emplois. Elle offre le point de vue particulier d’une étudiante de cycle supérieur profondément engagée dans la recherche sur les grands enjeux dans son domaine d’expertise.