Changement urbain - Comment peut-on construire des villes plus vertes?
Créer un environnement durable
Comment peut-on construire des villes plus vertes? Daina Mazutis explique l’intérêt d’un leadership commercial progressiste.
Selon Daina Mazutis, professeure à l’École de gestion Telfer, le monde a besoin de villes plus écologiques. Mais pour que cela se produise, le secteur de la construction doit jouer un rôle de chef de file dans le développement urbain vert. « Malheureusement, le secteur de la construction continue à se comporter comme l’un des pires délinquants environnementaux. C’est également l’un des secteurs les plus lents à s’adapter aux innovations vertes », explique la titulaire de la chaire d’enseignement en éthique, responsabilité et développement durable, nommée conjointement à l’Institut de l’environnement de l’Université d’Ottawa.
C’est pourquoi en 2015, lorsque Jonathan Westeinde, fondateur et chef de la direction de Windmill Developments, a donné une conférence dans son cours sur le commerce et le développement durable, sur le révolutionnaire projet de réaménagement Zibi, à Ottawa, elle a trouvé cela encourageant.
« Jonathan voulait apporter de nouvelles idées à un secteur qui n’avait pas changé depuis 100 ans », se souvient - elle.
Zibi est un mot algonquin qui signifie rivière. Dans le cadre de ce projet, la vision ambitieuse de Windmill consistait à transformer des terrains vagues industriels contaminés des îles Chaudière et Albert, sur la rivière des Outaouais. L’objectif : faire de ces terrains d’importance historique la communauté d’usage mixte la plus écologique du Canada et la 10e collectivité « One Planet Living » de Bioregional du monde.
La professeure Mazutis y a vu une rare occasion de se trouver aux premières loges pour étudier ce que les dirigeants d’entreprises peuvent faire pour relever et surmonter les énormes défis relatifs à la construction de collectivités urbaines vertes et transformatrices : « Pourquoi ne pas tirer de précieuses leçons de leadership d’un projet de développement urbain durable d’une valeur de plusieurs milliards de dollars qui se déroule ici même, dans notre propre cour? »
Dans un article qu’elle a publié récemment, la chercheuse a présenté le Modèle de leadership durable 5I. Il s’agit de leçons tirées de l’étude en profondeur du cas de Zibi, de l’achat du site de développement en 2013 jusqu’à ce que les premiers habitants s’y installent, en janvier 2019. La professeure a défini cinq tâches de leadership qui sont essentielles pour mener à bien des projets de développement durable : un travail inspirant, identitaire, de mise en œuvre et institutionnel, qui favorise l’intégration.
Le travail identitaire, par exemple, comporte la tâche ardue de trouver un terrain d’entente entre de nombreux intervenants dont les points de vue et les intérêts diffèrent, ainsi que la gestion de la dissidence. L’équipe de direction de Windmill a collaboré en signant, dès le début du projet, des lettres d’intention avec les collectivités des Premières Nations. Windmill est également resté à l’écoute des groupes dissidents, y compris les protestataires.
« L’un des objectifs clés de l’étude du cas de Zibi consistait à illustrer le fait que le développement urbain durable est difficile, mais réalisable », explique Mme Mazutis.
La chercheuse prévoit approfondir ses recherches sur le développement urbain durable grâce à un projet financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Ses recherches porteront sur les « transformations urbaines réussies à l’échelle mondiale, pour en tirer des enseignements afin de contribuer à accélérer la participation des entreprises à la transformation urbaine écologique au Canada. »
Ses recherches sur le leadership et le développement durable ont également exposé les biais cognitifs inconscients qui empêchent souvent les sociétés et les gestionnaires de cerner avec précision les dimensions morales des changements climatiques. C’est ce qui explique en partie pourquoi de nombreuses organisations ne parviennent pas à adapter leur processus décisionnel stratégique pour devenir plus écologiques.
Par exemple, le biais de perception, qui fait en sorte que l’on a du mal à conceptualiser des événements et des répercussions que l’on n’a pas vécus personnellement, peut amener les gens à nier les problèmes. Si une personne n’a jamais été forcée à déménager en raison de la sécheresse ou d’inondations découlant des changements climatiques, l’impératif moral d’agir par rapport à cette crise mondiale ne lui semblera peut-être pas urgent.
Pour accroître la participation du secteur dans le développement durable, il est essentiel de comprendre ce que font les dirigeants d’entreprise pour susciter des changements radicaux, ainsi que les obstacles auxquels ils font face. « Le rôle des entreprises est souvent négligé, explique Daina Mazutis. Mais, pour promouvoir le développement durable, il est incroyablement important que les dirigeants d’entreprises deviennent des agents de changement. »
Investir dans un avenir faible en carbone
Contrairement aux secteurs pétrolier, gazier et automobile, les banques ne sont généralement pas perçues comme des contributeurs importants aux changements climatiques. Elles disposent toutefois d’un effet de levier financier et peuvent pousser leurs clients à agir – ou non – pour tendre vers un avenir faible en carbone.
Dans une étude récente, Daina Mazutis et la doctorante Anna Eckardt ont étudié la façon dont quatre grandes banques européennes ont intégré, ou omis d’intégrer, l’action contre les changements climatiques à leurs stratégies d’entreprise.
« Nous avons constaté que les gestionnaires de la banque la plus progressiste considéraient les changements climatiques comme un incroyable défi pour l’humanité et les générations futures, et qu’ils interprétaient cela comme un problème moral, explique Mme Eckardt. Ces gestionnaires étaient très motivés à faire un effort supplémentaire pour convaincre leurs collègues, leurs clients, et même les organismes de réglementation de prendre d’urgence plus de mesures contre les changements climatiques. »
La stratégie de la banque progressiste comportait des initiatives allant du retrait de tous les investissements en combustibles fossiles au fait de récompenser ses clients pour leurs actions de lutte aux changements climatiques en leur octroyant de meilleures conditions d’emprunt.
« Les banques peuvent exercer une grande influence en sélectionnant des entreprises, voire des secteurs entiers, en les soutenant et en les orientant dans la direction voulue grâce à leurs pratiques et à leurs modalités de prêt et d’investissement, explique la professeure Mazutis. Comme elles sont au cœur de l’activité économique, les banques devraient intensifier leur rôle dans le financement de la transition vers un avenir faible en carbone ».