Des solutions novatrices pour optimiser la dotation en santé
La pandémie de la COVID-19 a braqué les projecteurs sur les systèmes de santé du monde entier. Le nôtre a été grandement mis à mal. Parmi les nombreux problèmes constatés ici au Canada, il y en a un qui sort du lot et nécessite une attention immédiate : la dotation de personnel dans le milieu de la santé.
Le manque de personnel et les difficultés liées à la planification des horaires existaient bien avant la pandémie, mais les répercussions de cette dernière sur la main-d’œuvre, combinées à une hausse de la demande en soins de santé, nous ont menés au bord du gouffre.
Trouver des solutions adaptées
Sajjad Dehnoei est l’une des nombreuses personnes qui travaillent depuis longtemps à créer des outils pour redresser cette situation. Étudiant à la maîtrise ès sciences en systèmes de santé de Telfer sous la supervision du professeur Antoine Sauré, le chercheur a collaboré avec des membres du personnel et de la communauté de recherche du Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario (CHEO) pour développer un outil prédictif qui peut établir plus précisément les exigences de dotation. Le projet a été mené d’août 2018 à septembre 2020.
L’une des principales difficultés dans la gestion des horaires du personnel hospitalier réside dans l’imprévisibilité du flux de la patientèle : divers types de personnes nécessitent différents niveaux de soins, parfois prodigués par différents prestataires (personnel infirmier, thérapeutes, auxiliaires, médecins).
C’est certainement le cas des Services de santé mentale pour les patients hospitalisés au CHEO, confirme Roxanna Sheppard, gestionnaire clinique des soins intensifs de courte durée en santé mentale. « Il existe de nombreux facteurs qui influent sur la dotation en santé : les règles syndicales, les besoins spécifiques des unités, la difficulté d’allouer les ressources d’un quart à l’autre et la pénurie de main-d’œuvre. » Alors que la plupart des solutions existantes à ce problème se servent de données fixes sur les arrivées et les ressources nécessaires, Sajjad Dehnoei souhaitait développer une méthode qui tiendrait compte de l’incertitude de l’unité d’hospitalisation.
Travaillant avec Roxanna Sheppard, qui l’a guidé à travers les dédales administratifs et aidé à obtenir des données pertinentes sur les Services de santé mentale pour les patients hospitalisés, le chercheur a établi combien de quarts étaient en sureffectif ou en sous-effectif, créé des types de patientes et patients, et utilisé des techniques d’apprentissage machine et d’optimisation à la fine pointe pour les classer en groupes représentatifs. L’usage de l’intelligence artificielle a été particulièrement utile, car la complexité des soins en santé mentale et la nature particulière des soins pédiatriques ont fait bondir le volume de données, ce qui rendait ardue l’analyse avec des méthodes traditionnelles.
Lisez l'article complet (en anglais) de Sajjad Dehnoei : A stochastic optimization approach for staff scheduling decisions at inpatient units
Cet outil novateur a donc permis au personnel du CHEO de mieux comprendre les exigences de dotation en fonction des besoins réels de la patientèle et de planifier les horaires plus efficacement. Résultat : de meilleurs soins, un temps d’attente plus court et des budgets mieux gérés.
Faire valoir la nécessité d’une dotation plus efficace
Selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les hôpitaux canadiens ont consacré 63,3 % de leur budget au personnel en 2020-2021. Cela comprend les coûts en heures supplémentaires.
« Auparavant, il y avait un manque chronique de personnel et nous devions régulièrement nous démener pour remplir les quarts de travail, soutient Roxanna Sheppard. On a souvent demandé à nos gens de faire des heures supplémentaires. Le travail avec Sajjad sur ce modèle nous a permis de confirmer ce que les gestionnaires avançaient depuis longtemps. »
En effet, cela fait plusieurs années que les gestionnaires de personnel en santé demandent une augmentation des effectifs. Grâce au modèle prédictif créé par le chercheur, l’administration du CHEO a pu déterminer plus précisément les exigences de base en matière de dotation, et a pu s’appuyer sur ces données pour faire une demande officielle. Calculée pour coïncider avec un projet de dotation pour l’ensemble du CHEO, l’augmentation de personnel des Services de santé mentale pour les patients hospitalisés a été approuvée : en juillet 2022, à peine deux ans après la création du modèle, 5,7 thérapeutes pour enfants et jeunes (ETP) et 3,6 infirmières et infirmiers (ETP) de plus ont été embauchés.
Des recherches aux répercussions concrètes
Non seulement la dotation inefficace fait augmenter les coûts liés au personnel, elle peut aussi engendrer des conséquences négatives pour la patientèle. Si le modèle de Sajjad Dehnoei a été créé spécifiquement pour le CHEO, il peut servir de manière plus générale pour contribuer à réduire les temps d’attente et offrir de bons soins tout en respectant les ratios d’effectifs.
« Le modèle peut s’adapter à d’autres prestataires de soins comme le personnel infirmier et les médecins ainsi qu’à divers ratios de soins, explique le chercheur. D’ailleurs, des modèles similaires ont été mis en œuvre dans d’autres cliniques. »
Sajjad Dehnoei et Roxanna Sheppard se réjouissent du processus et des résultats. « C’était intéressant de faire partie de ce projet; je n’ai pas souvent l’occasion de collaborer avec la communauté de recherche, fait remarquer la gestionnaire clinique. J’ai beaucoup aimé faire équipe avec Sajjad. Il est très réceptif et communique bien. Je n’hésiterais pas une seconde à travailler de nouveau avec une chercheuse ou un chercheur de Telfer. »
Sajjad, quant à lui, est reconnaissant d’avoir pu faire son stage au CHEO, à tel point qu’à la fin du projet, il y a fait du bénévolat, pour ensuite y travailler comme analyste de données.
Les étudiantes et étudiants de Telfer ont à coeur de contribuer à la mission du CHEO. En 2022, le gala de CASCO a recueilli un montant record : 80 018,21 $. Découvrez les activités du CASCO de Telfer.
Des collaborations interdisciplinaires fructueuses
Il est plutôt rare que la recherche trouve application aussi rapidement. Selon la Dre Kathleen Pajer, responsable médicale de l’initiative de soins de précision en santé mentale des enfants au CHEO, « il faut généralement entre 7 et 14 ans pour qu’une étude puisse être appliquée dans un cadre clinique. Ce projet a pris moins de quatre ans pour y arriver, en plus d’avoir été une magnifique réussite. Ce genre de collaboration contribue grandement aux soins prodigués. »
L’association entre Telfer et le CHEO a vu le jour grâce aux activités de mobilisation des connaissances de l’établissement d’enseignement, plus précisément un colloque sur l’intelligence artificielle appliquée aux soins de santé. William Gardner, chercheur à l’Institut de recherche du CHEO et collègue de la Dre Pajer, a assisté à ce colloque et a ensuite contacté l’un des conférenciers, le professeur de Telfer Jonathan Patrick, pour lui demander de l’aider à régler un problème bien précis. Ce dernier a fait appel à Sajjad, et on connaît la suite!
La Dre Pajer estime que l’on doit la réussite de ce projet à un mélange d’une approche du monde des affaires, de connaissances cliniques et de recherche novatrice. Les résultats montrent déjà que l’approche proposée, comparativement à la méthode traditionnelle qui consiste à pourvoir tous les quarts de la même façon, entraîne une forte baisse des coûts prévus de la dotation. Au vu de cette collaboration fructueuse avec la communauté de recherche de Telfer, l’administration du CHEO est impatiente de nouer d’autres partenariats.