Le Canada a tout ce qu’il faut pour innover, mais il n’investit pas assez en R&D
Le Canada n’arrive plus depuis 2015 à joindre le top 20 des pays les plus innovateurs. Shutterstock
Innover ou périr. Les entreprises n’ont pas tellement le choix d’adopter cette vision si elles veulent survivre. L’innovation est primordiale pour affronter la concurrence croissante sur les marchés, qui force les entreprises à se distinguer. Le Canada doit investir davantage pour stimuler cette innovation.
En tant que professeur de finance, je m’intéresse à la finance d’entreprise, et particulièrement à la structure du capital, la politique de dividende, et la gouvernance. Récemment, j’ai entrepris un vaste projet de recherche sur l’innovation des entreprises à travers le monde. Les résultats d’une première étude portant sur l’effet de la culture nationale sur l’innovation ont été publiés dans la revue Journal of Corporate Finance.
Le Canada peut faire mieux
À la tête du dernier classement de l’indice d’innovation publié par Bloomberg en février dernier se trouve la Corée du Sud, suivie de Singapour, et le top 10 est complété par huit pays européens dont trois pays scandinaves. Le Canada se retrouve au 21e rang mondial, en progression d’une place par rapport à 2020. Alors qu’il était classé au 121e rang mondial en 2015, il n’arrive plus depuis à joindre le top 20 des pays les plus innovateurs.
Il faut noter cependant que l’indice général d’innovation de Bloomberg est une mesure qui intègre des composantes dont certaines sont des inputs au processus d’innovation, telles que les dépenses en recherche et développement (R&D) ou la formation postsecondaire, qui représente le point faible du Canada (37e au monde).
Curieusement, et en dépit d’un classement moyen en matière d’inputs, le Canada fait partie du top 5 mondial en matière de génération de brevets, qui est une mesure d’output de l’innovation.
Qu’est-ce qui peut expliquer cette disparité dans le classement du Canada entre les inputs et les outputs de l’innovation ?
Les ingrédients de l'innovation
L’innovation n’est pas uniquement une question de moyens financiers. En effet, faisant partie du G7, le Canada n’est pas le seul pays dont le classement mondial du PIB est nettement inférieur à celui de l’innovation.
Les États-Unis, pays le plus riche au monde, ne font plus partie du top 10 de l’indice d’innovation de Bloomberg. Ils sont dépassés par des pays dont le PIB est largement inférieur, tels que la Finlande (8e pays le plus innovateur et 43e au classement par PIB) ou l’Autriche (10e en innovation et 26e selon le PIB).
Des facteurs institutionnels peuvent favoriser ou entraver le processus de l’innovation, et plusieurs études scientifiques ont essayé de les déterminer.
Un facteur institutionnel informel lié à l’innovation est la culture. Gerard Hofstede, psychologue néerlandais, est un pionnier dans l’étude de la culture des sociétés. Il identifie six attributs culturels : l’indice de distance hiérarchique, d’orientation à long terme, d’indulgence, d’évitement de l’incertitude, d’individualisme, et de ce qu’il a appelé des valeurs « masculines », qui reflètent en fait le niveau de compétitivité entre les individus.
L’importance de la culture
Notre étude publiée en février 2021, examine l’effet de ces dimensions culturelles sur l’innovation. Les résultats sont très révélateurs :
-
La distance hiérarchique, qui mesure à quel point les individus d’une organisation acceptent que le pouvoir y soit réparti de façon inégale, a un effet négatif sur l’innovation. Dans les sociétés où cet indice est élevé, les individus ont un accès limité à l’information, ce qui nuit à l’innovation. En revanche, dans les sociétés à faible indice de distance hiérarchique, tels que les pays scandinaves, les individus ont plus de liberté et plus d’incitations à innover.
-
L’indulgence indique à quel point les sociétés donnent à leur population la liberté de satisfaire leurs désirs. Les personnes vivant dans des sociétés à haut indice d'indulgence sont généralement optimistes, encouragent le débat et le dialogue dans les réunions et les processus décisionnels, et priorisent la rétroaction, le coaching et le mentorat. Ces caractéristiques s’avèrent de bons atouts pour l’innovation.
-
Les entreprises opérant dans une société à orientation à long terme sont plus susceptibles d’innover. Dans ces sociétés, les individus ont tendance à être plus persévérants et persistants. Ils acceptent que les résultats prennent du temps à atteindre et ont tendance à établir des relations à long terme avec leurs employeurs.
-
L’évitement de l’incertitude reflète le degré de tolérance d’une société à l’ambiguïté. Les sociétés dans lesquelles cet indice est élevé considèrent que tout ce qui est différent est dangereux et elles s’en protègent en promulguant des lois et des règles strictes. Ces sociétés sont moins innovatrices, car plus réticentes aux changements et aux nouvelles idées.
-
Le degré d’individualisme indique à quel point les individus sont dissociés et déconnectés des groupes. Dans les sociétés individualistes, par opposition aux sociétés collectivistes, comme les pays communistes, les valeurs de liberté individuelle et d’initiative sont encouragées et récompensées. L’innovation est encouragée dans ces sociétés qui fournissent un environnement dynamique et stimulant pour la créativité.
-
Les valeurs qualifiées de « masculines » par Hofstede, comme l’affirmation de soi et la compétitivité, ne favorisent pas l’innovation. Dans les sociétés qui valorisent plutôt la modestie et l’altruisme, l’accent est mis sur la résolution des conflits, la confiance et le soutien émotionnel. La probabilité que les entreprises innovent y est plus élevée.
Une terre fertile
Si l’on se réfère aux six dimensions de la culture, le Canada possède des indices élevés d’individualisme et d’indulgence, modérés de « masculinité » et plutôt faibles d’évitement de l’incertitude, de distance hiérarchique, et d’orientation à long terme.
Ceci veut dire qu’à l’exception de celui de l’orientation à long terme, les cinq autres attributs de la culture canadienne sont de nature à favoriser l’innovation. Ceci pourrait donc expliquer, du moins en partie, pourquoi le Canada fait bonne figure en matière de production de brevets en dépit d’un niveau plutôt modeste dans les ingrédients de l’innovation.
Le Canada serait donc une terre fertile à l’innovation dans laquelle il suffit de semer les ingrédients pour en récolter les fruits. La culture générale y est largement propice. La culture étant un ensemble de valeurs, de croyances et de préférences durables et qui sont très lentes à évoluer, cet avantage culturel à l’innovation que le Canada possède est là pour durer. Il faudrait donc miser sur cet atout en investissant largement dans la R&D, aussi bien dans les secteurs manufacturier, de la haute technologie que dans l’éducation postsecondaire.