L’avortement est un enjeu professionnel : le rôle des gestionnaires dans l’accès du personnel aux soins génésiques
Des activistes applaudissent lors d'un rassemblement de Planned Parenthood en faveur de l'accès à l'avortement devant la Cour suprême, le 15 avril 2023, à Washington. (AP Photo/Nathan Howard)
Le 24 juin marquait le premier anniversaire du renversement de Roe v. Wade par la Cour suprême des États-Unis — une décision phare qui, pendant près de 50 ans, garantissait le droit à l’avortement dans ce pays.
En date du 16 juin, 20 États ont banni ou fortement restreint l’accès à l’avortement. Au mieux, cette situation force les femmes qui ont besoin d’un avortement à voyager des heures, voire des jours hors de leur État, souvent pour un coût considérable.
En réponse à ce changement législatif, de nombreuses entreprises américaines — dont Goldman Sachs, la Bank of America, Dick’s Sporting Goods et Meta — ont mis en place des avantages sociaux pour soutenir l’accès à l’avortement et aux autres soins génésiques (p. ex. la contraception et l’analyse génétique).
L’entreprise JPMorgan Chase, notamment, défraye son personnel des frais associés aux déplacements supérieurs à 80 kilomètres. Le géant Amazon couvre jusqu’à 4 000 $ US de frais de déplacement annuels pour des soins médicaux. En proposant de tels avantages sociaux, les organisations privilégient la santé et la sécurité de leur personnel, même lorsque la loi s’y refuse.
L’envers des régimes de soins de santé au travail
Malheureusement, les initiatives de santé et sécurité au travail ont par le passé démontré que même les avantages sociaux les mieux intentionnés peuvent comporter leur part d’ombre. Par exemple, certains programmes de promotion de la santé ont engendré de la discrimination fondée sur le poids.
De même, les milieux de travail qui adoptent des politiques contre le harcèlement, mais omettent de donner une formation adéquate, risquent involontairement de provoquer une réaction négative envers leurs employées.
Mal appliqués, les avantages liés à l’avortement risquent d’entraîner des conséquences involontaires similaires, car des employées déjà vulnérables pourraient faire l’objet de discrimination au travail. La seule présence d’un régime inclusif en matière de santé et de sécurité ne suffit pas. L’organisation doit absolument offrir un soutien réel et constant.
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Faire connaître les avantages sociaux
Bien des gens ne profitent pas des avantages sociaux qui leur sont offerts parce qu’ils en ignorent l’existence. Souvent, les employées et employés connaissent très peu les politiques, programmes et avantages sociaux proposés par leur organisation, surtout lorsque ces initiatives ne sont pas abordées ouvertement.
Pour sensibiliser leur personnel, les organisations devraient rendre librement accessible et diffuser largement et fréquemment de l’information sur les avantages sociaux liés aux soins génésiques. Qui plus est, toutes les communications devraient être claires et employer un vocabulaire dénué de jugement.
Les organisations devraient aussi offrir des ressources et des avantages complémentaires, comme du soutien inclusif en santé mentale (p. ex. du counseling) et physique (p. ex. de la physiothérapie).
Améliorer l’accès aux avantages sociaux
Même si le personnel connaît les avantages sociaux, il peut ne pas savoir comment y accéder. Les lourdeurs bureaucratiques, comme les formalités administratives ou les sites Web complexes des ressources humaines, peuvent décourager, limiter et empêcher l’utilisation du régime. Pour améliorer l’accès aux avantages sociaux liés à l’avortement, une organisation peut adopter diverses mesures.
D’abord, elle devrait s’assurer que les membres du personnel peuvent y accéder en toute sécurité et confidentialité. Elle se doit de protéger leur vie privée et leur dignité.
Ensuite, l’organisation devrait offrir des congés rémunérés flexibles afin d’atténuer le plus possible les problèmes d’insécurité financière susceptibles de limiter le recours aux avantages. Le voyage vers un autre État pour subir un avortement peut durer une semaine ou plus, sans compter un possible séjour à l’hôpital et plusieurs nuits d’hébergement.
Enfin, elle devrait reconnaître que même s’il n’est pas nécessaire d’aller dans un autre État, la convalescence après un avortement nécessite souvent au moins une journée complète d’activité réduite. Cependant, cette période peut varier d’une personne et d’une intervention à l’autre.
Déraciner les préjugés
Les préjugés forment un autre obstacle important à l’utilisation des avantages sociaux qui se rapportent à l’avortement. Les personnes qui souhaitent se faire avorter pourraient craindre que la divulgation de ce fait à leur gestionnaire ou à leurs collègues compromette leur sécurité d’emploi ou jette une lumière négative sur elles.
Pour dissiper les préjugés liés à l’avortement et aux avantages sociaux en la matière, une organisation peut déployer quelques stratégies. Premièrement, elle devrait proposer des politiques équitables et accessibles de congé pour raisons médicales, ainsi que des fonds de déplacement qui ne requièrent ni rapport détaillé ni justification.
Deuxièmement, elle devrait donner une formation pertinente aux gestionnaires sur la promotion et la mise en œuvre du régime. Les gestionnaires doivent comprendre non seulement comment leur personnel peut bénéficier des politiques et des avantages sociaux, mais aussi comment le soutenir. Il pourrait s’agir d’autoriser des congés rémunérés et de proposer temporairement des modalités de travail flexibles.
Troisièmement, les gestionnaires devraient recevoir une formation pour apprendre à employer un vocabulaire antidiscrimination et à offrir un soutien social adéquat aux membres du personnel qui exposent leur besoin ou leur volonté de recourir aux avantages sociaux en matière d’avortement. Souvent, les gestionnaires donnent le ton dans leur équipe : ce sont eux qui font en sorte que le personnel se sent à l’aise ou non de se prévaloir des avantages et des accommodements.
L’avortement est un enjeu professionnel
Comme l’écrit le New York Times, « abortion is a business issue » (l’avortement est un enjeu professionnel). En proposant des politiques et des avantages sociaux liés à l’avortement, les organisations agissent en « coupe-feu » contre des lois préjudiciables.
Mais pour être efficaces, elles doivent promouvoir et déstigmatiser les avantages sociaux liés aux soins génésiques et à l’avortement en les normalisant. Le personnel des ressources humaines et les gestionnaires de première ligne doivent apprendre à parler de ces avantages et à épauler les personnes qui y recourent.
En outre, ces avantages doivent être connus du personnel et facilement accessibles; c’est seulement ainsi que les organisations pourront éviter le côté obscur de politiques et d’avantages sociaux bien intentionnés, mais mal appliqués.