Du faux sourire à la ménopause : les coûts cachés qui touchent les femmes au travail
Inspiré, passionné et enthousiasmé par l’avenir : voilà comment se sentait le public après avoir écouté l’une des plus grandes expertes au monde discuter des émotions en milieu de travail. J’ai eu le privilège d’assister à cette conférence stimulante de la professeure Alicia Grandey, qui a jeté un nouvel éclairage sur notre façon de voir le coût des faux sourires au travail, les obstacles uniques auxquels les dirigeantes sont confrontées tout au long de leur carrière et la gestion des effets de la ménopause dans la vie professionnelle.
Professeure éminente de psychologie du programme industriel-organisationnel de l’Université d’État de Pennsylvanie, Grandey est montée sur scène le 2 mai 2025 dans le cadre de la série annuelle de conférences sur la prospérité organisationnelle et sociale de l’École de gestion Telfer. Elle a fait part de ses expériences et de ses idées sur la façon de créer des milieux de travail inclusifs et résilients qui permettent aux membres du personnel comme aux entreprises de véritablement se développer. La professeure Grandey est une chercheuse hautement accomplie, avec plus de 65 articles scientifiques dans des revues de premier plan et compte plus de 30 000 citations, ce qui la place dans la tranche supérieure de 1 % des spécialistes des organisations les plus cités dans son domaine. Ses travaux de recherche portent sur le travail émotionnel, les mauvais traitements en milieu professionnel et, plus récemment, sur les liens qui existent entre la santé des femmes et le travail. Cet événement a été rendu possible grâce au généreux soutien et au parrainage d’Intact Corporation financière, qui s’est associée au Laboratoire Triple I de l’École de gestion Telfer dans le cadre de son engagement à promouvoir la recherche sur le bien-être en milieu de travail.
Faire semblant au travail : un prix élevé à payer
Imaginez que vous êtes barista et qu’on s’attend à ce que chaque café soit servi avec un sourire, ou que vous faites le service dans un restaurant achalandé et que vous devez faire la causette avec toute la clientèle, même si la fatigue, les préoccupations ou le stress occupent votre esprit. Cet effort exigé pour constamment gérer et afficher certaines émotions dans le cadre de son emploi se nomme « travail émotionnel », et une grande partie de la carrière de la professeure Grandey a été consacrée à l’étude de ce que ces attentes coûtent aux travailleurs et aux travailleuses du secteur des services. Elle explique que le personnel qui est en contact direct avec la clientèle doit souvent utiliser une stratégie de « jeu en surface » : ces personnes doivent cacher ce qu’elles ressentent vraiment et faire semblant d’être heureuses pour se conformer aux attentes.
Avoir à simuler des émotions au travail entraîne un coût réel et les effets, qui se font sentir tant dans la vie professionnelle que personnelle, peuvent aller de l’épuisement émotionnel et de la faible satisfaction au travail aux habitudes d’adaptation malsaines, comme la consommation excessive d’alcool après les heures de travail. Loin de se contenter de souligner les points négatifs, la professeure Grandey a aussi offert des moyens pratiques de soulager le fardeau de ceux et celles qui doivent faire semblant. Il s’agit notamment de créer des environnements de travail sûrs sur le plan émotionnel, d’encourager les leaders à reconnaître la valeur du travail émotionnel, de mettre en pratique la technique du « jeu en profondeur » (qui consiste à essayer de ressentir sincèrement les émotions attendues plutôt que de les simuler), de donner au personnel un plus grand pouvoir sur les moments où les émotions doivent être feintes, d’améliorer les conditions de travail dans leur ensemble et de permettre aux membres du personnel de se reposer, de se ressourcer et de faire des tâches qui demandent peu d’efforts.
Même les gestionnaires font semblant de sourire
Il s’avère que le travail émotionnel s’étend au-delà du comptoir de service. Les équipes de direction, des gestionnaires de première ligne aux cadres, font aussi semblant de sourire! Dans le nouvel ouvrage Emotionally Charged: How to Lead in the New World of Work, la professeure Grandey et sa co-autrice, la coach pour cadres Dina Denham Smith, explorent le travail émotionnel fait par les membres de la direction et le prix que ces personnes paient. Les autrices examinent comment la régulation émotionnelle peut aider les dirigeants et les dirigeantes à revenir sur la bonne voie quand leurs émotions semblent hors de contrôle. Ce livre a été écrit pour un public plus large, et la professeure Grandey a souligné l’importance de rendre les résultats de ses recherches plus accessibles, au-delà du milieu académique . Elle explique que ce livre et ses articles, qui ont été publiés dans des médias comme la Harvard Business Review, le New Yorker et Reddit, lui permettent de présenter ses résultats de recherche à un public plus vaste et que cela est « plaisant et important, et constitue une façon de faire sortir la recherche du monde universitaire ».
Une nouvelle orientation : les trois « m » de la santé féminine au travail
Récemment, la professeure Grandey a décidé de changer de cap et d’étudier les liens entre la santé des femmes et le travail, en se concentrant plus particulièrement sur la ménopause. En tant que doctorante menant des recherches sur les expériences vécues par les femmes au travail, j’étais particulièrement ravie de l’entendre parler de cet aspect important. La santé des femmes a toujours été un sujet tabou. Il a toutefois attiré l’attention, dans les dernières années, d’un nombre croissant des chercheuses et chercheurs qui s’intéressent aux organisations, et notamment de deux chercheuses de l’École de gestion Telfer : la professeure Madeline Toubiana, qui explore les défis qu’entraîne la périménopause sur le lieu de travail, et la professeure Jennifer Dimoff, qui a mené des travaux de recherche sur l’expérience de la perte de grossesse et le lieu de travail.
Grandey a expliqué que les attentes et la définition de ce qui constitue « un travailleur idéal ou une travailleuse idéale » changent en fonction de l’étape à laquelle se trouve une personne dans sa carrière, et que ces attentes tiennent rarement compte des changements biologiques et physiologiques vécus par les femmes. Le public a écouté attentivement sa présentation des trois « m » liés à la santé féminine : menstruation, maternité et ménopause. Elle a aussi parlé des effets que ces expériences naturelles ont sur la carrière des femmes. Mettant l’accent sur la ménopause, elle a attiré notre attention sur les symptômes comme les bouffées de chaleur, les changements d’humeur, le manque de concentration et les troubles du sommeil. Bien qu’elle ait admis que ces symptômes appellent parfois des mesures d’adaptation sur le lieu de travail, elle a aussi remis en question les stéréotypes très répandus qui les dépeignent comme des limitations qui diminuent le rendement professionnel des femmes. Elle les a plutôt présentés comme des forces qui méritent d’être respectées et soutenues.
La trajectoire de l’héroïne
Ce message percutant faisait partie de son discours sur la ménopause, qu’elle considère comme une étape de la « trajectoire de l’héroïne ». Elle a fait remarquer que lorsque les hommes traversent des changements de vie importants, ceux-ci sont souvent décrits comme faisant partie de la trajectoire du héros. Elle a donc positionné les changements associés à la ménopause de la même manière et les a décrits comme la trajectoire de l’héroïne. Thème central de ses recherches récentes et à venir, la ménopause n’est pas présentée comme un déclin, mais plutôt comme une transition qui révèle la résilience des femmes. Elle a souligné que même si ces symptômes sont réels et ne doivent pas être négligés, la ménopause doit être vue comme une étape productive de la vie, qui témoigne de la force des femmes. Alors que leurs corps subissent de nombreux changements, elles apprennent à s’adapter, à persévérer et à rester performantes au travail.
Le feu en soi
« Ma recherche est personnelle. » Cet énoncé simple, mais puissant, nous a révélé que l’inspiration derrière les travaux de recherche de la professeure Grandey est intimement liée à son expérience vécue. Çeci nous rappelle aussi que les travaux de recherche de qualité sont le fruit d’une démarche personnelle. Sa passion pour son travail provient de sa conscience aiguë des tensions entre vie personnelle et vie professionnelle, et de la façon dont la négligence à l’endroit de certains sujets, comme la santé féminine, peut avoir de réelles conséquences pour les femmes au travail. Avec passion et enthousiasme, elle nous a rappelé que les travaux de recherche percutants naissent du désir de répondre aux questions qui allument une flamme en nous.