Combiner l’intelligence artificielle et l’analytique des données pour transformer les systèmes de santé
Christopher Sun, professeur adjoint à l’École de gestion Telfer et scientifique à l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, s’est vu octroyer la Chaire de recherche du Canada (CRC) de niveau 2 sur l’analyse des données pour la transformation des systèmes de santé. Le prestigieux Programme des chaires de recherche du Canada finance des chercheuses et chercheurs de calibre mondial pour promouvoir l’excellence en recherche au sein des établissements d’enseignement postsecondaire canadiens.
L’innovation : moteur de transformation des systèmes de santé
À mesure qu’elles évoluent, les technologies et l’innovation ne cessent d’améliorer nos vies et de contribuer à notre bien-être. Elles ont le potentiel de transformer de nombreux secteurs et d’améliorer le monde qui nous entoure. Chaque jour, nous utilisons de nouveaux outils, parfois même sans le remarquer. Alors d’où vient cette réticence à l’implantation de nouveaux outils et technologies dans nos systèmes de santé?
Selon le professeur Christopher Sun, qui s’est récemment vu octroyer la Chaire de recherche du Canada sur l’analyse des données pour la transformation des systèmes de santé, si le progrès et l’innovation en santé stagnent, c’est en partie à cause de certains problèmes comme le cloisonnement des données, la méfiance face aux algorithmes, les préjugés et la discrimination induits par l’intelligence artificielle (IA) et le manque de consultation avec les parties prenantes. Bien que nous aimons nous représenter le système de santé canadien comme l’un des meilleurs au monde, un récent rapport du Fonds du Commonwealth place le Canada au 10e rang sur 11 pays à revenu élevé, ses mauvaises notes concernant principalement l’accès aux soins, l’efficacité, l’équité et les résultats de santé. Les travaux du professeur Sun visent à réduire et à éliminer les obstacles afin d’améliorer le rendement des systèmes de santé au Canada et dans le monde.
Une formule collaborative gagnante
Le professeur Sun est arrivé à Telfer avec en poche un baccalauréat (B.Sc.A.) en génie biomédical et un doctorat (Ph.D.) en génie industriel de l’Université de Toronto, en plus d’une formation postdoctorale en gestion des opérations du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Son parcours interdisciplinaire au sein d’établissements de renom lui a permis de se constituer un réseau impressionnant de spécialistes du domaine de la santé, l’amenant à faire des collaborations dans des instituts médicaux de partout sur la planète.
L’une de ces collaborations implique deux médecins du Montefiore Medical Center, la Dre Michelle Gong, cheffe du département des soins intensifs au service de soins intensifs Jay B. Langner, cheffe du département de médecine respiratoire et directrice de recherche en soins intensifs à la Faculté de médecine, et le Dr Ari Moskowitz, directeur de l’unité des soins intensifs. L'équipe, appuyée par l'Institut de cardiologie de l'Université d'Ottawa (ICUO), a récemment reçu une subvention Projets de 1,45 million de dollars des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) pour un nouveau projet de recherche sur la prédiction et la prévention des arrêts cardiaques à l'hôpital.
La Dre Gong souligne la rigueur de Christopher Sun et son désir d’intégrer à ses recherches la réalité des établissements de santé : « Le milieu est prêt pour une union entre médecine et sciences des données. Des études sur ce type d’outils existent, mais l’un des défis à surmonter est le fossé qui sépare les médecins cliniciens et les spécialistes en science des données. Le professeur Sun travaille étroitement avec les médecins sur le terrain; il sollicite activement leurs connaissances et leur rétroaction, ce qui nous a beaucoup impressionnés, mes collègues et moi. »
Bien qu’il n’en soit qu’au début de sa carrière, Christopher Sun s’est bâti une réputation internationale en tant que chercheur innovateur d’influence. Voici quelques-unes de ses hauts faits et récompenses :
- De nombreux articles de renommée internationale présentant des solutions créatives publiés dans des revues prestigieuses comme Circulation, le Journal of the American College of Cardiology et Health Affairs.
- La reconnaissance de la American Heart Association (AHA) pour ses travaux sur l’optimisation de l’emplacement des défibrillateurs publics visant à améliorer le taux de survie après un arrêt cardiaque.
- Des prix prestigieux, notamment une bourse d’études Vanier des IRSC, le prix de début de carrière en recherche de l’American Heart Association et le prix d’excellence en éducation de la fondation Citoyen CPR.
Une diversité de points de vue
Lorsqu’il était étudiant, Christopher Sun a touché à plusieurs disciplines, faisant ses débuts en études biomédicales pour ensuite travailler à l’optimisation des systèmes en analyse des données en santé. La richesse de son bagage d’expériences, notamment à la tête de projets interdisciplinaires en pratique médicale et en politiques de santé, lui donne une perspective nouvelle sur la façon de mettre en œuvre une transformation en santé.
En plus de s’intéresser à la cardiologie, il a intégré les principes d’équité, de diversité et d’inclusion (EDI) dans ses travaux et ses projets de recherche. Son engagement envers l’EDI est essentiel en analytique des données en santé, un domaine profondément lié au bien-être public. Il est aussi manifeste dans ses choix de perfectionnement professionnel et d’activités communautaires. Quelques exemples parmi tant d’autres : son travail auprès d’élèves défavorisés du secondaire dans le cadre de programmes de sensibilisation et sa collaboration à l’activité Girls Leadership in Engineering Experience de l’Université de Toronto, une initiative qui vise à soutenir les femmes en génie. Il est aussi actuellement membre du comité sur l’EDI de Telfer, qui profite des lumières de sa vaste expérience.
Une collaboration qui a du cœur
La santé cardiaque est particulièrement importante pour le professeur Sun; il n’est donc pas surprenant qu’il ait intégré l’équipe de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa (ICUO) en tant que scientifique. Parmi les plus grands centres de cardiologie au Canada, ce centre de renommée mondiale accueille plus de 2,5 millions de personnes atteintes d’un problème de santé cardiovasculaire dans l’est de l’Ontario et l’ouest du Québec.
L’un des défis d’un tel établissement de santé, c’est de parvenir à équilibrer efficacité et résultats. Comment distribuer les ressources équitablement et adéquatement tout en s’assurant que les besoins de la patientèle sont satisfaits en priorité?
Selon le Dr Peter Liu, directeur scientifique et vice-président de la recherche à l’ICUO, cela demande une connaissance de l’administration des affaires, de l’IA et de la science des données, et c’est précisément ce que Telfer amène. Le professeur Sun et le Dr Liu s’entendent pour dire que la collaboration entre Telfer et l’ICUO saura faire bon usage du pouvoir des données pour régler des problèmes concrets. L’institut recueille des données auprès de sa vaste patientèle depuis plus de 10 ans, données que Christopher Sun pourra utiliser dans ses recherches.
« Cette collaboration unique, dans laquelle les recherches novatrices de Telfer seront utilisées directement par l’ICUO pour améliorer les soins et les services de santé, est vraiment importante. C’est en travaillant avec des cliniciennes et des cliniciens visionnaires et des instituts de santé agiles qui favorisent la prise de décisions fondées sur les données que nous pourrons combler le fossé entre la théorie et la pratique en analytique des données en santé, explique ce dernier. »
Le Dr Liu croit que la collaboration avec Telfer est très avantageuse pour l’institut et pour les soins de santé en général, particulièrement en raison de la spécialisation en gestion des systèmes de santé de Telfer. « On dirige souvent les établissements de santé comme des entreprises, mais la formation en médecine ne nous apprend pas les principes de base en administration, explique-t-il. Comme médecins, notre mission est de soigner la patientèle; c’est là que résident nos connaissances, notre spécialité. Nous considérons chaque personne dans son individualité. C’est fantastique d’avoir comme partenaire une école de gestion qui nous amène des connaissances sur l’organisation des systèmes, sur la gestion du rendement, sur l’optimisation – des atouts pour les milieux de santé de partout dans le monde. »
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Qui dit nouvelles recherches dit nouveaux outils
La Chaire de recherche du Canada sur l’analyse des données pour la transformation des systèmes de santé permettra au professeur Sun de poursuivre ses activités pour la réduction des inégalités et la transformation de nos systèmes de santé. Son but : élaborer et implanter des modèles prescriptifs et prédictifs et des outils utilisant l’IA, en impliquant au processus de nombreuses parties prenantes pour profiter de leur expérience vécue et de leurs connaissances.
Quand on parle d’utiliser l’IA pour améliorer nos systèmes de santé, on pense souvent à ChatGPT ou aux robots chirurgiens. Pourtant, l’IA peut prendre diverses formes. ChatGPT est un outil génératif; les travaux de Christopher Sun utilisent plutôt l’IA prédictive et les modèles d’optimisation qui pourront aider à la prise de décisions.
En sciences des données et en analyse des données en santé, comme dans beaucoup d’autres domaines, l’implantation et l’utilisation d’innovations qui découlent de l’apprentissage machine se heurtent à beaucoup de résistance. Pour réduire cette frilosité, le professeur Sun valorise d’abord le codéveloppement, une méthode de recherche qui se concentre sur les besoins des « utilisatrices et utilisateurs des connaissances » dans la création des projets de recherche.
Ces personnes, aussi appelées utilisatrices et utilisateurs finaux, sont celles qui seront les plus touchées par les effets de la recherche. En santé, elles peuvent faire partie de la patientèle, des médecins ou du personnel infirmier, technique ou administratif. Le codéveloppement demande des interactions avec toutes les parties prenantes touchées par le sujet de la recherche afin d’assurer que leurs besoins sont représentés et pris en compte. En les intégrant aux multiples étapes du processus, on favorise leur confiance dans l’utilité des nouveaux outils, tant pour elles que pour le domaine de la santé en général. « Dans des domaines aussi essentiels que la santé, il est important que des spécialistes humains soient activement impliqués dans les décisions, explique le professeur Sun. C’est pourquoi nous mettons autant d’efforts à bâtir des modèles analytiques qui les aideront à être plus efficaces et à toucher davantage de patientes et de patients, et pour cela il nous faut avoir accès à leurs précieuses connaissances pendant le développement de ces modèles. »
Outils pour améliorer l’issue des incidents cardiaques
La nouvelle chaire du professeur Sun se consacre à trois grands objectifs de recherche, qui impliquent tous dans une certaine mesure une collaboration personne-algorithme :
- Prédiction et prévention des incidents cardiaques urgents
- Aide au diagnostic par imagerie cardiaque
- Horaires automatisés en salle d’opération
Reflétant son intérêt pour la santé cardiaque et son rôle au sein de l’Institut de cardiologie de l’Université d’Ottawa, son premier objectif de recherche est de concevoir des modèles qui aideraient à prédire et à prévenir les incidents cardiaques urgents. Si l’on prend strictement le taux de survie inférieur à 10 % lors d’arrêts cardiaques survenus en dehors de l’hôpital au Canada, nos systèmes de santé auraient cruellement besoin de tels instruments.
Son deuxième objectif de recherche est de développer et d’évaluer des outils d’aide au diagnostic par imagerie cardiaque spécialement conçus pour la patientèle de l’ICUO. En raison de la difficulté d’accéder aux données, le modèle sera d’abord basé sur les données internationales en libre accès, pour ensuite être adapté aux ensembles de données de l’ICUO.
Enfin, les professionnelles et professionnels médicaux de l’ICUO effectuent une quantité impressionnante de chirurgies, ce qui complexifie la gestion des horaires des salles d’opération et nous mène au troisième objectif de recherche du professeur : créer un modèle d’optimisation pour automatiser les horaires en salles d’opération pour les chirurgies cardiaques. Cet outil tiendrait compte des nombreux facteurs en jeu, tout en faisant entrer en ligne de compte l’équité et l’efficacité, afin que les divers groupes de patientèle soient traités équitablement. Il contribuerait aussi à la bonne marche des opérations en prévenant le manque de personnel et en réduisant le temps nécessaire à l’organisation des horaires.
Ces mécanismes, une fois instaurés, pourraient améliorer la santé globale de la patientèle, réduire le fardeau des hôpitaux, lutter contre les inégalités en santé cardiaque et réduire les effets négatifs sur les premières répondantes et premiers répondants qui interviennent lors d’incidents cardiaques urgents. Ils démontreraient aussi l’importance de créer des liens directs entre les systèmes de données et permettraient un meilleur accès aux données dans tous les systèmes de santé.
De meilleurs résultats pour tout le monde
Son expérience de travail en analytique des données en santé a ouvert les yeux du professeur Sun sur les nombreuses inégalités dans nos systèmes de santé. « Il est important d’incorporer nos connaissances sur les disparités qui existent en santé à tout ce qu’on fait, plaide-t-il. Et particulièrement en santé cardiaque, où l’on observe des disparités flagrantes entre les genres; il faut tenir compte de cette question dans l’élaboration des modèles prédictifs et décisionnels. »
En outre, même si l’âge, le handicap, le statut socio-économique, la race et l’ethnicité sont des facteurs qui peuvent alimenter les inégalités, ces informations manquent souvent aux dossiers de la patientèle. Les données sont l’un des plus grands problèmes en recherche en santé : elles sont difficiles d’accès, se limitent souvent à un seul établissement et elles manquent habituellement d’informations liées à l’équité, comme la race et l’ethnicité. Si on ne recueille pas de données sur les facteurs qui mènent aux disparités en santé, comment peut-on espérer lutter contre elles?
Les problèmes liés à ce type de données se voient partout dans le monde, mais sont particulièrement importants au Canada. Chaque province et territoire gère son propre système de santé, et les données sont rarement transférées entre les établissements, et encore moins entre les systèmes.
Pour lutter contre les inégalités dans une perspective d’analytique des données en santé, il est essentiel de prendre des mesures pour combattre les préjugés dans la création d’outils automatisés. L’un des défis de l’implantation de modèles d’IA en santé est l’existence de préjugés inconscients. Si les modèles sont élaborés par des personnes qui ont des préjugés, comment s’assurer que ces préjugés ne sont pas transmis aux modèles?
En tant que spécialiste de la science des données, le professeur Sun est bien conscient de cette difficulté et travaille activement à repérer les problèmes sous-jacents dans le but de les régler. La sensibilisation à l’existence du problème est un bon début, mais il faut aller bien plus loin. La lutte contre les préjugés inconscients demande une collaboration interdisciplinaire.
Pour le professeur Sun, l’une des façons d’y parvenir est de participer à des collaborations internationales qui enrichissent et diversifient les données et l’expertise nécessaires pour élaborer ces modèles. Même son de cloche du côté de la Dre Gong, l’une de ses collaboratrices : « Montefiore est un hôpital très diversifié. La moitié de la patientèle est noire ou d’origine hispanique; nous sommes au service des communautés mal desservies. Ces différentes origines diversifient la population avec laquelle nous travaillons et faisons nos recherches, ce qui est important parce que nous voulons que cet outil soit généralisable et mis à l’échelle dans d’autres régions du globe. »
Le professeur Sun entend aussi publier un modèle d’optimisation en libre accès, afin que les petits centres de santé ou ceux qui adoptent d’autres approches puissent aussi l’utiliser et en profiter. Cette forme de diffusion du savoir et de partage public de la ressource préviendra aussi le cloisonnement des données qui prévaut en santé.
Le fait d’intégrer intentionnellement la diversité et l’inclusion dans le fondement même de la recherche témoigne du profond désir du professeur Sun de développer des outils et des produits utiles pour une diversité de populations et de ses efforts pour réduire les inégalités en santé. Il reste à espérer que ces mesures pousseront aussi les prestataires de soins à aller plus loin dans leurs collectes de données en ce qui a trait aux facteurs qui contribuent aux inégalités.
Donner l’exemple
Le professeur Sun souhaite contribuer activement à l’amélioration des systèmes de santé et de la santé de la population canadienne, comme le montrent ses recherches et ses collaborations. Par la planification et les efforts qu’il déploie pour concevoir des modèles équitables, et en rendant ses recherches accessibles au public, il contribue à sensibiliser la population sur les problèmes qui minent les services de santé et à proposer des solutions pour y faire face. Son travail illustre bien l’importance de la collecte et de la diffusion de données diversifiées sur la patientèle et a le potentiel de faire tomber les réticences à l’implantation de modèles utilisant l’IA, ce qui aura des retombées positives pour un plus grand nombre de personnes.