SAWI : Un projet de recherche féministe pour l'inclusion en milieu de travail
Le projet SAWI (Support and Accelerate Women’s Inclusion), issu d’une série d’initiatives militantes du milieu universitaire qui visent à améliorer l’expérience des femmes au travail dans la région du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MOAN), est un projet de recherche participative féministe que l’Université américaine de Beyrouth (AUB) mène depuis 2019 et que Telfer a récemment ajouté à son portefeuille de recherche.
Soutenir et accélérer l'inclusion des femmes
SAWI (qui signifie « égaliser » en arabe) est un projet de collaboration interdisciplinaire, international, multisectoriel, multilingue et multigénérationnel fondé sur le partenariat, la cocréation et le co-leadership qui a pour but d’accélérer l’inclusivité du marché du travail dans la région du MOAN.
Mettant à contribution des partenaires locaux de divers horizons (communauté de recherche, employeurs, ressources humaines, population étudiante, groupes militants, universités, entités gouvernementales, organisations de la société civile, regroupements de travailleuses et travailleurs), il s’emploie à promouvoir la dignité humaine, l’inclusion en milieu de travail et la pérennité économique. Pour amorcer des changements structurels durables au sein des systèmes de RH locaux, le projet SAWI se fonde sur une approche novatrice : scruter les politiques et les pratiques culturelles afin de mettre au jour les obstacles au recrutement, à la rétention et à la promotion des femmes, puis agir concrètement pour changer les choses.
Ce projet financé par l’Initiative de partenariat pour le Moyen-Orient (MEPI) du Département d’État américain poursuit trois grands objectifs : 1) faire le bilan des politiques et des pratiques en matière de recrutement, de rétention et de promotion dans la région du MOAN; 2) rallier des employeurs régionaux afin de concevoir et de mettre en place des systèmes de RH plus inclusifs; et 3) contribuer à la création d’un réseau multilatéral afin de promouvoir l’inclusion et la dignité dans les milieux de travail et les systèmes économiques régionaux.
Voici comment Charlotte Karam, directrice du projet SAWI et professeure à l’École de gestion Telfer, l’explique : « Notre projet adopte un point de vue très différent des initiatives habituelles, qui visent à renforcer les capacités des femmes. Nous savons que la région du MOAN regorge de femmes instruites et compétentes. Le problème ne vient pas de leurs capacités, mais des structures discriminatoires et répressives qui les empêchent d’accéder aux postes et de s’y maintenir dans la dignité. Si le problème ne vient pas des femmes, nous pouvons réunir celles-ci, les employeurs et d’autres parties prenantes pour parvenir ensemble à des solutions collectives qui nous aideront à mieux détecter et contrer les structures oppressives en milieu de travail, c’est-à-dire à changer les politiques, les normes et les pratiques qui empêchent les femmes de participer pleinement et équitablement au marché du travail et à l’économie. »
En 2021, le travail de la professeure Karam en faveur d’une réforme des politiques de RH dans la région du MOAN lui a valu de figurer au palmarès des 100 personnes les plus influentes en politiques de genre selon Apolitical, et ses efforts de lutte contre les violences sexuelles ont été récompensés par le Prix d’excellence en mobilisation des connaissances 2021-2022 de l’Université d’Ottawa.
Genèse du projet
Avant la création du projet SAWI, la professeure Karam et son équipe ont mené des initiatives analogues ayant pour but d’améliorer les conditions de travail des femmes. De ces initiatives sont nés le projet Knowledge is Power (KIP) et deux indices : l’indice KIP et l’indice Lived Experience.
Le projet KIP visait à promouvoir l’adoption de mesures contre le harcèlement sexuel dans les milieux de travail du Liban. En 2015, la professeure Karam et son équipe ont commencé à travailler auprès d’organismes des secteurs privé et public pour concevoir et mettre en place des politiques à cet effet, en dépit de l’absence de lois nationales en la matière à cette époque.
Cette initiative, qui faisait activement appel à diverses parties prenantes, encourageait les représentantes et représentants du milieu universitaire, citoyen et étudiant, du secteur public et du secteur privé à organiser des ateliers et des conférences, à appuyer la recherche et à sensibiliser le public. Tablant sur les travaux réalisés par d’autres groupes dans ce domaine et sur la collaboration de la Commission nationale de la femme libanaise, le projet KIP a grandement contribué à la rédaction et à l’adoption, en 2020, de la première loi anti-harcèlement au Liban.
« Ces premiers travaux sur le harcèlement sexuel ont révélé le pouvoir que nous acquérons en travaillant ensemble et en mettant à profit le mouvement militant pour l’inclusion économique. Ce qui m’a particulièrement marquée, ce n’est pas tant de pouvoir rallier autant de secteurs et de parties prenantes, mais de pouvoir mettre sur pied un projet féministe au sein d’une école de gestion. Même si on arrive à en convertir ne serait-ce que la moitié, on peut vraiment renforcer et transformer les structures et les normes de travail en collaborant avec les employeurs », ajoute la professeure Karam. La contribution du projet KIP à la lutte contre le harcèlement sexuel a été reconnue comme une innovation inspirante par l’Association to Advance Collegiate Schools of Business (AACSB) et a été soulignée dans plusieurs médias internationaux.
Le deuxième projet, l’indice KIP, a vu le jour peu après et visait à explorer les obstacles structurels auxquels font face les femmes en milieu de travail dans la région du MOAN. Son objectif : recueillir, auprès des employeurs et des femmes de la région, des données primaires qui faisaient cruellement défaut. De concert avec des partenaires locaux de 11 pays, l’équipe a collecté des données auprès de plus de 3 310 employeurs et 981 femmes afin de mieux comprendre la dynamique de recrutement, de rétention et de promotion prévalant dans la région. En 2022, les deux indices mis au point par l’équipe ont également été reconnus comme des innovations inspirantes par l’AACSB.
La collaboration comme levier d’action pour des politiques de RH inclusives
Les données ainsi recueillies ont servi de point de départ pour le projet SAWI, que l’équipe a mis sur pied afin d’intensifier la mobilisation des employeurs et des décisionnaires et de préparer le terrain en vue d’un changement constructif. Elle s’en est servi pour monter des mini-programmes de certification en recrutement, rétention et promotion pour les cadres et a offert des formations personnalisées à plus de 560 gestionnaires et décisionnaires dans les pays et secteurs cibles.
« Le projet SAWI traduit les données recueillies en résultats concrets : on ne se contente pas d’y parler de changement; on le crée, de concert avec les employeurs. Ensemble, nous mettons au point des politiques de RH plus inclusives », précise la professeure Karam. À ce jour, SAWI a participé à l’élaboration d’une centaine de politiques de recrutement, de rétention et de promotion, toutes assorties d’une stratégie de mise en œuvre, pour plus de 195 400 employées et employés touchés. L’équipe en est maintenant à aider certains de ses partenaires à mettre en œuvre ces politiques inclusives dans leur milieu de travail.
Mobilisation des connaissances, mise en commun de l’expertise et partenariats
La professeure Karam et son équipe ont toujours privilégié les échanges interdisciplinaires et internationaux, dits hiwar (« conversation ») en arabe. Cette approche constitue le fil conducteur de toutes leurs initiatives, du projet KIP à l’indice KIP, jusqu’au projet SAWI. Ces conversations, ou hiwar, se sont déroulées sous forme de webinaires, de balados, de blogues et de vidéos, toutes portant sur les thèmes de l’inclusion, de l’équité et de l’émancipation économique des femmes.
La plus importante de toutes est sans contredit celle sur la feuille de route régionale pour l’inclusion en milieu de travail qui s’est tenue en 2021 dans le but de mettre en lumière l’importance d’instaurer des politiques de RH inclusives dans la région. Plus de 500 personnes y ont participé. Plus récemment, soit au début de 2023, SAWI a tenu une série de trois webinaires sur la mobilisation multilatérale pour l’inclusion économique qui a rassemblé plus de 260 participantes et participants et une multitude de spécialistes de divers pays.
Dans le cadre de ses efforts visant à mobiliser les connaissances pour changer la donne, SAWI publie également des rapports et des feuilles de route. Comme mentionné plus haut, le projet propose en outre des formations pour les cadres et a déjà formé plus de 560 décisionnaires, dont 265 sont maintenant titulaires d’un certificat. Il poursuit également ses efforts pour promouvoir l’émancipation économique des femmes et leur inclusion en milieu de travail comme moteur de la prospérité collective en produisant des vidéos mobilisatrices et en menant des campagnes d’information graphiques.
La professeure Karam insiste sur la nature collective de cette démarche féministe menée en étroite collaboration avec un éventail de partenaires et de collègues en recherche : « Notre travail se veut un exemple de recherche-action participative féministe. Nous œuvrons de concert avec les pays partenaires, les femmes, les employeurs et les gens qui vivent et travaillent dans chacun de nos pays cibles. Avec ce genre de travail, il est aussi important d’aller sur le terrain – de s’immerger dans le contexte – que d’appliquer les méthodologies féministes fondées sur des données probantes. Ces deux moteurs sont essentiels à la poursuite du mouvement de changement concret que nous avons amorcé. »
Prochaines étapes pour SAWI
Depuis janvier 2023, grâce à de nouveaux fonds alloués par l’Initiative de partenariat pour le Moyen-Orient (MEPI) du Département d’État américain, l’Université américaine de Beyrouth et l’École de gestion Telfer planchent sur une nouvelle phase du projet SAWI. Pendant les deux prochaines années, le projet poursuivra son travail d’inclusion en milieu de travail en s’employant à :
- combler le manque de données régionales sur le recrutement, la rétention et la promotion des femmes;
- renforcer les initiatives d’investissement dans une optique de genre au sein de la région;
- élaborer des politiques de recrutement, de rétention et de promotion des femmes mieux adaptées aux situations de crise; et
- renforcer les politiques et les lois en matière d’égalité des chances dans la région du MOAN.
Mariam Omar est l'autrice de cet article. Elle occupe le rôle d'associée de recherche pour le projet SAWI et est candidate au doctorat en santé des populations à l'École interdisciplinaire des sciences de la santé de l'Université d'Ottawa.