Les fausses nouvelles en science : les dangers de la publication prédatrice pour les étudiants, les leaders de demain
Il est possible de considérer la publication prédatrice comme porteuse de fausses nouvelles scientifiques. Certains estiment que plus de 8 000 journaux prédateurs publient plus de 400 000 études chaque année. En contribuant à la diffusion d’une information douteuse, sujette à caution, voire fausse, les journaux prédateurs nuisent beaucoup à la communauté scientifique. Ces pratiques en matière de publication ont également des conséquences préjudiciables sur les différents professionnels qui utilisent les connaissances scientifiques pour déployer leurs compétences professionnelles ou pour éclairer les décisions qu’ils prennent dans le cadre de leur travail. Afin d'en savoir plus, j’ai interviewé Agnes Grudniewicz, professeure adjointe à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa.
Les choses importantes d’abord : ce qu’est une publication prédatrice
Jusqu’à récemment, les membres de la communauté scientifique ne s’entendaient pas sur une définition de journal prédateur ni sur la façon d’en reconnaître un. C’est pourquoi il était difficile de se défendre contre cette menace et d’évaluer son incidence. Toutefois, un groupe interdisciplinaire et international de chercheurs, formé de la professeure Grudniewicz (de l’École de gestion Telfer) ainsi que de David Moher, Kelly Cobey et Manoj Lalu (du Centre de journalologie de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa), a commencé à soupçonner que, pour s’attaquer à ces sources peu fiables qui diffusent des données scientifiques de mauvaise qualité, il devait d’abord bien saisir ce à quoi il s’attaquait.
Après 12 heures de discussions réunissant 43 intervenants d’une dizaine de pays, les membres du groupe se sont entendus sur une définition: Une revue ou maison d’édition prédatrice est « une entité qui privilégie ses propres intérêts au détriment de l’érudition et qui se caractérise par la publication d’information fausse ou trompeuse, l’entorse aux pratiques exemplaires en matière de rédaction et de publication, le manque de transparence ou le recours aux sollicitations agressives et sans discernement. » Cette définition a été publiée dans la revue Nature.
Au-delà de la communauté scientifique
La publication prédatrice est une menace pour la qualité de la recherche parce qu’elle diminue les ressources limitées de la communauté scientifique. « Nous savons tous que les chercheurs subissent des pressions constantes pour qu’ils publient leurs travaux. Les éditeurs et les journaux prédateurs profitent de cette culture du “publiez ou disparaissez” et font une promotion agressive de leurs services », raconte la professeure Grudniewicz.
De plus, elle nous exhorte à reconnaître l’incidence de ces entités prédatrices et de leurs pratiques en dehors des universités et des organismes scientifiques. Les articles publiés dans des journaux prédateurs peuvent figurer dans les résultats d’une recherche Google et passer pour des communications de grande qualité évaluées par des pairs. À l’ère des technologies modernes, où l’information est partagée à un rythme incroyable, beaucoup de gens ne savent peut-être pas si l’information scientifique qu’ils trouvent proviennent de sources légitimes ou mensongères.
Comment les pratiques prédatrices nuisent aux étudiants, les leaders d’opinion de demain
La professeure Grudniewicz est persuadée que les publications prédatrices nuisent aux étudiants de deux façons. Premièrement, certains programmes d’études supérieures obligent les étudiants à publier leur thèse avant d’obtenir leur diplôme. « Cette exigence entraîne chez eux beaucoup de stress et un sentiment d’urgence », raconte-t-elle. Les étudiants pourront, sans le savoir, se tourner vers des journaux prédateurs, lesquels proposent habituellement un délai de publication très court, une évaluation par les pairs peu contraignante et des frais de publication peu élevés. La tentation de la publication dans un journal prédateur peut avoir des répercussions majeures sur la carrière d’un chercheur :
« Les étudiants ne savent pas toujours que la publication dans un journal prédateur peut avoir des conséquences négatives à long terme pour leur carrière, d’ajouter la professeure. Ce qui implique qu’il faut bien les encadrer et les guider pour les aider à choisir un journal légitime; peut-être devrions-nous considérer la possibilité d’assouplir la condition de publication qui est requise pour obtenir un diplôme. »
Deuxièmement, nous ne tenons pas toujours compte de l’incidence des entités prédatrices sur les étudiants de premier cycle et les étudiants des programmes professionnels qui n’ont peut-être pas appris à évaluer les éléments de preuve. « S’ils ne sont pas sensibilisés à ce problème ou s’ils ne possèdent pas les compétences et les outils nécessaires pour déterminer la légitimité d’un journal, ces étudiants, qui deviendront nos leaders, risquent d’appuyer leurs travaux postdiplôme sur de fausses preuves », avertit-elle.
Par exemple, certains de ces étudiants deviendront gestionnaires dans des établissements de soins de santé. Ils pourront avoir besoin d’éléments de preuve sur une intervention chirurgicale afin d’aider à résoudre un problème d’ordonnancement ou d’optimiser les ressources au sein de leur établissement. Si le gestionnaire ne connaît pas l’existence des journaux prédateurs ni le fait que les résultats de recherche présentés dans ces publications n’ont peut-être pas été évalués par des pairs ou qu’ils sont faux, quelles sont les conséquences indésirables ? Il est possible que nombre de ces futurs leaders appuient leurs décisions sur des renseignements de mauvaise qualité, entraînant ultimement des problèmes.
Comment le milieu universitaire peut se défendre contre ce prédateur
En définissant ce qu’est une publication prédatrice, l’équipe de la professeure Grudniewicz a déjà fait le premier pas dans la lutte contre ceux qui facilitent la diffusion de résultats de recherche de mauvaise qualité ou faux. En s’entendant sur une définition, cela contribue à solidariser ceux et celles qui luttent contre les journaux prédateurs. La définition donne également un point de référence qui aide à mieux comprendre l’influence des entités prédatrices, mais il reste encore beaucoup à faire. La professeure Grudniewicz fait ressortir les fortes implications de ce problème :
« Nous devons reconnaître que ce problème ne concerne pas que les chercheurs. Nous nous servons tous de Google pour trouver de l’information dans Internet, ce qui implique que nous devrions tous être renseignés au sujet des éditeurs prédateurs. Prenez par exemple le nombre de fois où vous avez cherché dans Google des symptômes que vous ou un proche ressentez. Tout comme nous ne voulons pas nous faire duper par de fausses nouvelles, nous ne voulons pas non plus recourir accidentellement à de fausses données scientifiques, que ce soit à titre de chercheurs ou de professionnels sinon, pire encore dans notre vie privée, à titre de patients ou de soignants d’une personne atteinte d’une maladie grave. »
Agnes Grudniewicz est professeure adjointe à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa. Ses recherches se concentrent sur les soins de santé primaires et communautaires : elles visent à améliorer les services et les systèmes de santé pour les patients ayant des besoins médicaux et sociaux complexes. Elle est membre du Centre de journalologie de l’Institut de recherche de l’Hôpital d’Ottawa, où elle contribue à la lutte contre les journaux prédateurs en apportant ses connaissances spécialisées en méthodes qualitatives. Apprenez-en davantage sur ses travaux.