Cultiver le lien d’attachement du personnel sans lien de parenté aux entreprises familiales
Cet article a été publié à l’origine sur le site FamilyBusiness.org (en anglais seulement).
En matière de fonctionnement, les entreprises familiales font souvent bande à part. Elles renoncent à des occasions d’affaires pour que le contrôle de l’organisation reste entre les mains de la famille, elles maintiennent des traditions familiales dépassées et réservent les postes de direction à la famille. Mais il a été largement démontré que ces pratiques minent la gouvernance officielle, la croissance et la rentabilité de ce type d’entreprise. La famille Roy, clan fictif de la récente série primée Succession, diffusée sur HBO, en est un exemple. La série dépeint la dynamique dysfonctionnelle d’une famille dont les membres – malgré leur absence ou quasi-absence de mérite – sont avides d’accéder à des postes stratégiques dans l’entreprise familiale, une situation qui a pour effet d’exclure les talents sans lien de parenté et qui risque de mener l’entreprise à la faillite.
Dans la vraie vie comme dans la fiction, il arrive souvent que le personnel sans lien de parenté d’une entreprise familiale scrute à la loupe l’organisation et ses pratiques. Cela dit, hormis quelques mauvais élèves, nous en savons encore bien peu sur les moyens que prennent les entreprises familiales pour réussir à susciter chez ce personnel un sentiment de loyauté et la volonté de s’engager.
Quand une entreprise familiale fait systématiquement passer la famille avant les autres, on peut comprendre que les membres du personnel qui ne font pas partie du clan remettront en question à la fois les compétences et les valeurs morales de l’entreprise, et se demanderont si l’entreprise se soucie, au fond, des parties prenantes sans liens familiaux. Après un moment, le personnel désabusé connaîtra une baisse de motivation et s’identifiera moins à l’entreprise. Soulignons, au passage, que les membres du personnel sans lien de parenté s’identifient d’ordinaire moins que les membres de la famille à une entreprise familiale. Une telle situation pourrait donc affaiblir l’avantage concurrentiel de l’organisation, car la personne qui se détache de son employeur perd l’envie de faire ses tâches, de s’attaquer aux problèmes et de saisir les occasions qui se présentent. Alors, comment faire pour cultiver le lien d’attachement du personnel sans lien de parenté aux entreprises familiales?
Après avoir réalisé trois études expérientielles auprès de 493 membres du personnel sans lien de parenté de différentes entreprises familiales américaines, nous avons fait le constat que ces entreprises peuvent accroître le lien d’attachement émotionnel du personnel sans lien de parenté à leur organisation de trois manières.
1. Changer la façon dont les membres du personnel perçoivent l’entreprise.
Quand une entreprise familiale embauche, promeut et récompense uniquement les membres de la famille, le reste du personnel peut avoir l’impression que les propriétaires – qui semblent se soucier uniquement de la famille – ont un parti pris et une éthique professionnelle douteuse. Pour changer cette perception négative, l’entreprise peut mettre en place des stratégies qui montrent qu’elle se préoccupe de tout le monde. Elle pourrait, par exemple, utiliser la stratégie proactive de responsabilité sociale des entreprises (RSE), qui nécessite de cerner un besoin dans la société, puis de s’attaquer en amont au problème sous-jacent. Selon nos recherches, ce type de stratégie permet d’améliorer l’idée que les membres du personnel sans lien de parenté se font des valeurs morales de l’entreprise familiale, car elle contribue à les convaincre que l’organisation se soucie des parties prenantes externes et de la société en général.
2. Compenser le plafond de verre perçu.
Les entreprises familiales ont tendance à offrir les postes de direction stratégiques aux membres de la famille dans le but de transférer l’organisation à la prochaine génération. Aux yeux de la personne sans lien familial qui voit les membres de la famille accéder facilement aux postes importants, les possibilités d’avancement professionnel semblent limitées. Heureusement, les entreprises familiales peuvent améliorer la perception du personnel sans lien de parenté. Nous avons constaté que les membres du personnel qui ne font pas partie de la famille auront une meilleure opinion de l’entreprise si on leur offre des postes de direction dans certains secteurs stratégiques qui ne compromettent pas le contrôle familial de l’organisation, comme dans la prise de décision en matière de RSE. Peut-être ces gens ont-ils alors l’impression que l’entreprise compense leur exclusion perçue de certains processus décisionnels. Quand une entreprise familiale adopte ce type de stratégie, le personnel sans lien de parenté a tendance à avoir foi en l’engagement de l’entreprise à l’égard des parties prenantes externes et donc en ses valeurs morales. Il porte également un jugement favorable sur les compétences de l’entreprise, car cette dernière confie une partie du pouvoir décisionnel à des gens qui ne font pas partie de la famille.
3. Récompenser le personnel sans lien de parenté qui adhère aux valeurs familiales.
Enfin, nous suggérons aux entreprises familiales d’offrir davantage de possibilités aux membres du personnel sans lien de parenté qui incarnent les valeurs de la famille parce que ces gens seront portés à voir d’un bon œil les stratégies et les pratiques de l’entreprise. Par exemple, la personne sans lien familial qui pense qu’il est normal que la famille garde le contrôle de l’entreprise ne contestera pas l’attribution des postes influents à la prochaine génération, au contraire. Donc, indépendamment des stratégies utilisées par l’entreprise, les membres du personnel sans lien de parenté qui adhèrent aux valeurs familiales sont plus susceptibles de s’identifier à l’entreprise familiale. En l’absence d’une telle adéquation, le personnel sans lien de parenté a, à l’inverse, tendance à remettre en question les valeurs morales et les compétences de l’entreprise, et par conséquent, à se détacher de l’employeur.
S’il est normalement simple de prendre en compte les valeurs des candidates et candidats dans le processus d’embauche, les entreprises familiales pourraient devoir faire certains compromis, comme renoncer à certains grands talents qui n’adhèrent pas à leurs valeurs.
Limites
Dans les trois études expérientielles, l’entreprise familiale type est une moyenne entreprise dotée d’un conseil d’administration chargé de surveiller la prise de décisions stratégiques (comme les stratégies de RSE). Ces entreprises familiales semblent avoir à cœur la mise en œuvre de méthodes d’amélioration de la gestion des ressources humaines et d’autres stratégies dans le but d’influencer favorablement la perception du personnel sans lien de parenté. Toutefois, nous admettons que ces trois méthodes, qui ont le potentiel de donner de bons résultats au sein de nombreuses entreprises familiales, pourraient moins convenir aux très petites entreprises familiales n’ayant pas de stratégies officielles de gestion des ressources humaines ou de RSE.
Points à retenir
Finalement, il n’existe aucune méthode universelle qui permet d’aider le personnel sans lien de parenté à accroître son lien d’attachement émotionnel à l’entreprise familiale. Pour montrer qu’elles se préoccupent des parties prenantes externes, les entreprises familiales peuvent adopter une stratégie proactive de RSE, puis confier une portion du pouvoir décisionnel connexe aux membres du personnel qui ne font pas partie de la famille. La combinaison de ces deux méthodes est tout particulièrement efficace. Elles peuvent également favoriser l’embauche de candidates et candidats qui adhèrent aux valeurs familiales. N’importe laquelle de ces méthodes peut aider les entreprises familiales à se constituer une équipe solidaire de gens sans lien de parenté, ce qui leur donnera un avantage concurrentiel. Mais, attention! Quand une entreprise familiale tente d’accroître le lien d’attachement de son personnel sans lien de parenté, elle doit surveiller la réaction des membres de la famille à cette stratégie. Ses efforts ne doivent pas nuire à leur sentiment d’appartenance à l’entreprise.
En savoir plus sur la recherche
Managing non-family employees’ emotional connection with the family firms via shifting, compensating, and leveraging approaches. Long Range Planning, November 2022.
Peter Jaskiewicz
Chaire de recherche de l’Université en entrepreneuriat durable, École de gestion Telfer, Université d’Ottawa
Josh Hsueh
Professeure adjointe ou professeur adjoint, Centre for Family Entrepreneurship and Ownership (CeFEO), Jönköping International Business School (JIBS)
Elizabeth Tetzlaff
Doctorante ou doctorant en gestion, Université d’Ottawa, École de gestion Telfer
Giovanna Campopiano
Professeure agrégée ou professeur agrégé en gestion, information et génie de la production, Université de Bergame