Réduire les inégalités sur le marché du travail : le rôle de SAWI dans la région du MOAN
Au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MOAN), les femmes témoignent de leur expérience et de leurs observations communes de la longue lutte pour l’égalité dans le monde du travail. Leurs histoires semées d’écueils et d’aspirations inassouvies soulignent l’urgence d’adopter des politiques et des pratiques équitables en faveur de l’inclusion en matière d’emploi dans plusieurs secteurs.
Objectif inclusion au travail : les témoignages des femmes
Amina travaille dans le secteur de la santé au Maroc. Au sujet de la parité, elle s’interroge : « Combien de temps les femmes devront-elles encore attendre avant d’avoir des chances égales d’avancement professionnel? ». Pour garantir un traitement équitable dans les domaines des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM), Zahra déclare : « Il faut des politiques claires en matière de RH, autrement, c’est impossible! ». De même, Laila, du Koweït, et Mona, de Bahreïn, expriment leur frustration au sujet du plafond de verre dans le secteur des services financiers. Dans leurs milieux de travail respectifs, les promotions manquent d’équité ou de pertinence et se limitent, selon leurs dires, à « ce qu’on apprend dans les livres ». D’après son expérience dans le secteur de la santé tunisien, Donia affirme que les décisions concernant les promotions se prennent souvent en secret, derrière des portes closes, et se fondent sur les relations personnelles plutôt que sur le mérite. Dans le secteur de l’éducation en Algérie, la stabilité du revenu l’emporte sur l’avancement professionnel. Au sujet de sa décision de conserver son emploi, Ahlam explique : « Ma seule raison de rester, c’est le salaire fixe qui est le même pour les femmes et les hommes. »
Ces témoignages font partie des données recueillies dans le cadre du projet SAWI, Support and Accelerate Women’s Inclusion (soutenir et accélérer l’inclusion des femmes), qui vise à réduire les inégalités entre hommes et femmes dans la région du MOAN. Sous la direction de la professeure Charlotte Karam, ce projet est une collaboration entre l’Université américaine de Beyrouth (AUB) et l’École de gestion Telfer grâce au financement de l’Initiative de partenariat pour le Moyen-Orient (MEPI) du Département d’État américain.
Formant un réseau interdisciplinaire, international, multisectoriel, multilingue et multigénérationnel composé aussi bien de particuliers que d’organisations, SAWI vise à soutenir et à accélérer l’intégration des femmes dans leurs milieux professionnels. Son modèle collaboratif fait intervenir des spécialistes, des décisionnaires et des leaders locaux en vue d’opérer un changement systémique dans la région du MOAN par diverses initiatives d’inclusion et de respect dans les milieux de travail. Il est devenu une référence en matière d’activisme universitaire participatif.
Un manque de données à combler
Dans la région du MOAN, le taux de participation des femmes sur le marché du travail est seulement de 20,4 %, soit le plus bas au monde selon la Banque mondiale (2022). Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, notamment les normes culturelles et sociales solidement ancrées dans les rôles masculins et féminins traditionnels. Dans bien des sociétés, on considère que c’est à l’homme de pourvoir aux besoins financiers de la famille, tandis que la femme est cantonnée aux tâches domestiques et aux autres obligations familiales. Le Forum économique mondial (2022) estime qu’il faudrait 115 ans pour combler l’écart salarial entre les genres au Moyen-Orient. Bien que ce délai semble bien court au regard de la moyenne mondiale de 267,6 ans, ces statistiques soulèvent un point important : peut-on se permettre d’attendre aussi longtemps?
Il est urgent d’accroître la participation des femmes au marché du travail par des mesures coordonnées visant à établir des pratiques et des politiques de recrutement, de rétention et de promotion qui leur sont favorables. L’élaboration de stratégies adaptées à la région doit impérativement s’appuyer sur des données. Depuis quatre ans, SAWI recueille auprès des employeurs et des femmes de la région des données primaires qui faisaient cruellement défaut. De concert avec des partenaires locaux de 11 pays, l’équipe a collecté des données auprès de 3 274 employeurs et 981 femmes afin de mieux comprendre la dynamique de recrutement, de rétention et de promotion prévalant dans les milieux de travail de la région.
Des solutions sur mesure pour réduire les inégalités
Deux initiatives novatrices sont nées du projet de recherche de SAWI dans la région du MOAN : l’indice « Knowledge is Power » (KIP) et l’indice « Lived Experience » (LE). Ces indices mesurent l’inclusivité des politiques et pratiques organisationnelles par pays et par secteur, en plus de refléter l’expérience des femmes dans ces organisations.
L’indice KIP est un outil critique pour l’évaluation de l’inclusion dans les politiques et pratiques des RH : il fournit des données sur les approches du recrutement, de la rétention et de la promotion des employeurs locaux, qui dressent un tableau de la dynamique du marché du travail. Par ailleurs, l’indice LE, fondé sur des entrevues, traduit la perception qu’ont les femmes de leur réalité professionnelle. Ensemble, ces deux indices mettent en lumière les difficultés à surmonter et les occasions à saisir pour intégrer des politiques et pratiques inclusives dans les milieux de travail de la région.
SAWI a récemment présenté les résultats de l’analyse des données dans le cadre de l’événement intitulé « Inclusion Insights 2024: SAWI’s 4-year journey to crafting the MENA Women’s Inclusions Indices ». Pendant deux jours, l’équipe y a fait état des progrès réalisés dans la collecte de données sur l’inclusion économique des femmes dans la région du MOAN et des résultats d’un examen approfondi des politiques des employeurs et du vécu des femmes sur le marché du travail. Près de 200 personnes (employeurs, gestionnaires de RH, décisionnaires, etc.) des huit pays du MOAN y ont participé par visioconférence, et plus de 300 autres ont regardé l’événement sur la chaîne YouTube de SAWI. La première journée était consacrée à une analyse approfondie des données de plus de 3 000 employeurs de la région, et la deuxième portait sur les témoignages de plus de 900 femmes sur le marché du travail régional. Plusieurs activités étaient proposées en marge des présentations, comme des sondages et des discussions en petits groupes, des réflexions au sujet des résultats des analyses et de leur application dans divers secteurs, et des échanges d’idées pour aider les employeurs à améliorer l’inclusion dans leurs milieux de travail.
Les données révélées par les indices servent également à la conception de solutions basées sur des faits : SAWI a créé (et continue de créer) des outils et des formations en vue de guider les organisations dans les méandres d’un marché complexe, en constante évolution et semé d’embûches. En mars 2024 avait lieu une deuxième édition de son programme de formation « Gender-Lens Investing », qui propose une vision consistant à cibler et à améliorer les processus et les structures d’investissement favorables à l’inclusion des femmes sur le marché du travail. Enfin, SAWI a également offert deux programmes de formation à l’intention des gestionnaires de RH, des décisionnaires et des cadres portant sur les stratégies de recrutement, de rétention et de promotion pour l’inclusion des femmes dans le contexte économique régional qui évolue rapidement.
Les prochaines étapes pour SAWI
SAWI reste fidèle à sa mission dans la région. L’équipe a lancé en janvier 2024 un troisième cycle de collecte de données pour les indices KIP et LE. Au cours de la prochaine année, ses activités seront centrées sur la collecte et l’analyse de données sur l’inclusion dans le recrutement, la rétention et la promotion du personnel dans la région du MOAN. De plus, SAWI mène actuellement des études approfondies et des entrevues avec les parties intéressées afin d’évaluer l’état de préparation des huit pays du MOAN à l’adoption de lois sur l’égalité d’accès à l’emploi. Les résultats de ces activités seront présentés lors d’un événement au cours de l’année.
Cet article a été rédigé par Axelle Meouchy and Elissar Saad
Axelle Meouchy est associée de recherche et coordonnatrice de programme du projet SAWI à l’Université américaine de Beyrouth. Elle est également doctorante à l’Université de Tilbourg. Ses travaux portent sur les facteurs contextuels dans la législation nationale qui entravent l’égalité d’accès au marché du travail formel.
Elissar Saad est associée de recherche du projet SAWI à l’Université américaine de Beyrouth et doctorante à l’Université Saint-Joseph. Elle étudie le libellé des lois nationales et leurs incidences économiques et sociales sur les femmes pour formuler des recommandations et préconiser des stratégies.