Compétition et coopération interentreprises : la coopétition pendant la pandémie
Qu’est-ce que la « coopétition »?
Outre qu’elle a transformé la façon dont beaucoup d’entreprises fonctionnent, gèrent leur main-d’œuvre et fournissent leurs produits et services, la pandémie de COVID-19 a changé les rapports interentreprises. Si les propriétaires d’entreprise et les entrepreneurs s’appuient habituellement sur un modèle d’affaires concurrentiel, la situation économique des derniers mois a mené un nombre croissant d’entreprises à établir des relations spéciales qu’on appelle de la « coopétition ».
Ce concept désigne une situation – en apparence antinomique – où des entreprises coopèrent et compétitionnent tout à la fois.
« Les chercheurs ont défini la coopétition comme étant une relation paradoxale entre plusieurs organisations qui ont à la fois des rapports coopératifs et compétitifs », explique David Crick, professeur titulaire à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa.
Lorsque des entreprises concurrentes décident de coopérer, elles peuvent s’engager dans des activités complémentaires qui sont mutuellement avantageuses. Par exemple, elles peuvent partager des connaissances, de l’expérience, de l’équipement, des fonds ainsi que d’autres ressources. Dans la limite de la légalité, les entreprises peuvent chercher à collaborer avec leurs concurrents pour survivre, voire prospérer. Le domaine des circuits vinicoles en est un bon exemple. « Il arrive souvent qu’un groupe de producteurs vinicoles forme une alliance pour attirer des visiteurs dans leurs caves ou leurs salles de dégustation », ajoute le professeur Crick.
Une relation profitable en temps difficiles
La coopétition peut apparaître n’importe quand, mais les périodes d’instabilité économique sont particulièrement propices à ce type de coopération entre entreprises concurrentes. Les chercheurs en savent assez peu sur ce qui se passe réellement quand des entreprises décident de coopétitionner pendant des turbulences économiques. Quels sont les avantages? La coopétition aide-t-elle vraiment les entreprises à surmonter les effets négatifs d’une crise mondiale de l’ampleur de la pandémie de COVID-19?
Pour répondre à ces questions, le professeur Crick et son coauteur (et fils) James Crick (Université de Loughborough, Royaume-Uni) ont étudié la façon dont les organisations se servent de partenariats de coopétition pour faire face à certains défis créés par la pandémie. Ils ont présenté leurs découvertes dans un article intitulé « Coopetition and COVID-19: Collaborative business-to-business marketing strategies in a pandemic crisis » (Concurrence et COVID-19 : stratégies de marketing interentreprises collaboratif pendant une crise pandémique), publié dans revue Industrial Marketing Management.
Les leçons à retenir
Le professeur Crick croit qu’une fois la crise terminée, certaines entreprises dans des secteurs compétitifs comme celui des technologies voudront sans doute, à moins que des avantages mutuels ne persistent, faire à nouveau cavalier seul et adopter un modèle d’affaires individualiste. Dans les secteurs moins compétitifs, toutefois, on ne sait pas exactement comment les entreprises continueront de former et d’entretenir des relations de coopétition. « Nous ignorons dans quelle mesure elles le feront, car les pratiques demeurent incertaines et difficiles à prédire », affirme-t-il.
À l’heure où l’activité économique revient graduellement à la normale, bon nombre de ces entreprises sont susceptibles de reprendre ou d’intensifier leurs pratiques de coopétition. Pour ce qui est des circuits vinicoles, par exemple, le professeur Crick estime que les producteurs ont tout intérêt à renouer avec ces pratiques. « Ces alliances profitent à leurs entreprises, préservent les liens d’emploi familiaux – les vignobles sont souvent des entreprises familiales – et stimulent le marché local de la viniculture », ajoute-t-il.
Conseils pratiques pour les propriétaires d’entreprise et les gestionnaires
Les auteurs comprennent que les entreprises souhaitent explorer les avantages potentiels des stratégies de coopétition pour stimuler le rendement, répondre à une demande sans précédent, améliorer l’efficacité des chaînes d’approvisionnement, ou simplement pour survivre. Or, même si la notion de coopétition semble attrayante en temps de crise mondiale, elle a ses limites. « La coopétition peut être très avantageuse, mais seulement jusqu’à un certain point », tempère le professeur Crick.
Il importe également de garder à l’esprit que même si les partenariats de coopétition impliquent de la collaboration, certains enjeux de concurrence, bien que limités, subsistent. Les propriétaires d’entreprise et les gestionnaires doivent donc mettre en balance les risques et les avantages de la coopétition avant de se lancer.
Le professeur Crick et son coauteur ajoutent les recommandations suivantes :
- Les propriétaires d’entreprise ont intérêt à savoir dans quelle mesure la législation anticollusion leur permet de nouer un partenariat de coopétition.
- Comme toute autre relation, la coopétition nécessite de la confiance. Les entreprises ne devraient collaborer qu’avec des partenaires dignes de confiance et complémentaires qui s’engagent dans des pratiques réciproques.
- Si la coopétition est mutuellement avantageuse, les propriétaires d’entreprise doivent prendre les précautions nécessaires pour diminuer le risque de comportement opportuniste, comme le détournement de propriété intellectuelle.
- Les propriétaires d’entreprise doivent faire preuve de souplesse stratégique et être prêts à transformer leur modèle d’affaires en vue de collaborer avec leurs partenaires.
À condition que ces principes soient respectés, la coopétition peut être une stratégie mutuellement avantageuse pour les propriétaires d’entreprise et les gestionnaires durant une urgence planétaire telle que la pandémie de COVID-19.
David Crick est le professeur en entrepreneuriat international et en marketing Paul-Desmarais de l’École de gestion Telfer. Ses recherches, qui se situent au carrefour de l’entrepreneuriat international et du marketing, portent notamment sur les façons d’améliorer les rapports entre les secteurs public et privé. Le professeur Crick s’intéresse tout particulièrement aux entreprises en démarrage dotées de ressources limitées et de modèles commerciaux évolutifs, y compris aux processus d’internationalisation et aux besoins de soutien des entrepreneurs. Apprenez-en davantage sur ses travaux.