Progrès ou "pinkwashing" : à qui profitent les fonds d'investissement destinés aux femmes?
Les fonds destinés aux femmes visent soi-disant à mettre fin à l’écart entre les sexes dans le monde entrepreneurial. Mais de nombreux investisseurs, en majorité des hommes fortunés, considèrent encore les femmes entrepreneures comme peu compétentes et pratiquent ce que l’on appelle le pinkwashing, ou capital rose. (Shutterstock)
L’essor des fonds d’investissement destinés aux femmes laisse croire que l’écart entre les sexes dans l’apport de capital financier s’atténue.
Le financement en capital est l’argent que les prêteurs et les actionnaires fournissent à une entreprise.
Une étude que j’ai récemment menée avec Susan Coleman, de l’Université de Hartford aux États-Unis, et la doctorante Yanhong Li, de l’Université d’Ottawa, a permis d’observer la manière dont on décrit les femmes entrepreneures dans les fonds destinés aux femmes. Nous avons examiné 27 fonds nord-américains.
Des études internationales montrent que le découragement des emprunteurs et le rejet informel de la part d’investisseurs potentiels dissuadent de nombreuses femmes de demander des prêts lorsqu’elles lancent une entreprise.
Les investisseurs en actions sont traditionnellement des hommes fortunés. Ils sont portés à investir auprès de propriétaires d’entreprises qui pensent comme eux et leur ressemblent, renforçant ainsi les stéréotypes sexistes. Les femmes et leurs entreprises peuvent être considérées comme trop féminines, et donc moins intéressantes du point de vue de l’investissement. Les innovations qui profitent aux femmes et aux filles peuvent également être perçues comme moins attrayantes.
Nous avons cherché à savoir si les fonds destinés aux femmes visent véritablement à accroître l’égalité des sexes ou plutôt à créer de la richesse pour les investisseurs. Nous avons été surprises de découvrir que peu de fonds remettent en cause les contraintes institutionnelles qui freinent les femmes entrepreneures et que certains renforcent même les stéréotypes de genre par leur façon de présenter les prétendues lacunes des femmes en entrepreneuriat.
Le capital rose
Pour nos besoins, nous avons défini le « capital rose » comme du financement que l’on destine aux femmes uniquement à des fins de marketing. Il s’agit en général de la création de fonds dédiés aux femmes comme complément aux services financiers classiques, plutôt que d’un désir de faire du soutien aux femmes un élément central de la mission d’un organisme.
D’autres constats devraient intéresser les investisseurs potentiels. Peu de ces fonds font l’objet de vérifications par une tierce partie. Il n’existe que peu d’informations en ligne sur leurs performances. Il est souvent difficile de discerner leur gouvernance de leur structure de propriété. L’absence de normes de déclaration peut refléter le fait que ce marché de capitaux n’en est encore qu’à ses débuts.
Les défis stéréotypés auxquels sont confrontées les femmes, comme l’incapacité à accéder à du capital financier et le besoin de soutien émotionnel et social, sont souvent amplifiés pour légitimer les fonds. Les femmes sont décrites comme étant peu enclines à prendre des risques, moins performantes et manquant de contacts professionnels et de modèles.
En revanche, certains fonds se concentrent sur le développement communautaire, la connaissance des investissements et le contournement des préjugés sexistes, offrant une perspective positive plutôt qu’un effort pour remédier à la situation des femmes.
Les conclusions de notre étude suscitent à la fois optimisme et scepticisme pour ce qui est de savoir si l’égalité est au cœur de ces fonds.
Nous concluons que seule une minorité de fonds cherche à contrer les obstacles structurels d’accès au financement que rencontrent les femmes, comme la préférence d’investir dans des entreprises et des secteurs dominés par les hommes. La plupart des fonds sont positionnés de manière à faciliter la création de la richesse individuelle. Et peu de fonds priorisent les femmes autochtones et d’autres femmes sous-représentées par rapport aux femmes blanches privilégiées.
Un peu de lumière
Parallèlement, les fonds dédiés aux femmes créent de nouveaux espaces qui permettent aux femmes investisseuses et propriétaires de petites entreprises de faire des choix en fonction de leurs valeurs, de leurs connaissances financières et de leurs capacités d’investissement.
Nous allons bientôt célébrer la Journée internationale des droits des femmes, et des centaines d’investisseuses et de femmes propriétaires de petites entreprises se réuniront à Toronto le 9 mars pour le sommet mondial du SheEO. L’objectif de Vicki Saunders, la fondatrice, est de mobiliser les capitaux, le pouvoir d’achat et les réseaux d’un million de bénévoles pour financer 10 000 entreprises dirigées par des femmes.
Aux États-Unis, Alicia Robb, PDG fondatrice de Next Wave Impact, s’efforce de réduire le déséquilibre entre les sexes dans l’investissement providentiel et d’éduquer les femmes investisseuses. Kathryn Finney, PDG fondatrice de Digitalundivided, se concentre exclusivement sur le financement d’entreprises fondées aux États-Unis par des femmes noires et latino-américaines. Le Fonds pour l’entrepreneuriat des femmes autochtones avance des capitaux pour des entreprises autochtones au Canada.
Certains fonds, tels que Next Wave Impact, bouleversent le statu quo de l’investissement institutionnel en mettant en place un engagement de la base ainsi que des réseaux de femmes entrepreneures et d’investisseurs centrés sur la parité des sexes.
A qui cela profite-t-il ?
C’est la question que les investisseurs devraient se poser avant de supposer que des fonds destinés aux femmes servent des visées inclusives.
Si le pinkwashing peut être acceptable pour certains, la transparence est nécessaire pour prendre des décisions d’investissement en connaissance de cause. Pour reconnaître le pinkwashing, les investisseurs et les entrepreneurs sont encouragés à examiner la structure de gouvernance des fonds et à se demander : « Qui semble bénéficier du fonds et comment ? »
On peut également tenter de déterminer si le fonds contribue à élargir l’écosystème entrepreneurial de façon à profiter aux entrepreneures femmes et non-binaires, ou si le fonds sert à perpétuer les stéréotypes et les contraintes implicites dans les écosystèmes existants.
Notre étude laisse voir qu’un nombre croissant de fonds d’investissement décrits comme « dédiés aux femmes » ne le sont pas réellement dans la pratique.
À la lumière de ces constatations, il est essentiel que les investisseurs et les entrepreneurs fassent preuve de diligence raisonnable.