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La « zone Boucle d’or » : le juste équilibre dans la composition du conseil d’administration d’une entreprise familiale

Section d’une grande table avec quatre chaises vides. Un cahier de notes et un crayon sont posés sur la table.

Co-rédigé par Peter Jaskiewicz, James G. Combs, Klaus Uhlenbruck,
Amlan Datta et Katrina Barclay (biographies ci-dessous).

Cet article a été publié à l’origine sur le site FFI Practitioner
Lisez l'article original en anglais publié le 13 mai 2025.


Les clés d’un conseil d’administration (CA) efficace – taille, nombre de membres indépendants et diversité – n’ont plus de secrets pour nous. Toutefois, dans les entreprises familiales, un flou persiste autour d’une question toute simple, mais fondamentale : combien de membres de la famille devraient siéger au CA? Nos récentes recherches1 nous ont permis d’établir précisément la proportion la plus bénéfique pour les entreprises familiales.

Nous avons rassemblé des données sur 438 sociétés familiales françaises cotées en bourse, puis avons suivi leur évolution sur plusieurs années. Plus important marché financier d’Europe continentale, la France nous offrait un terrain d’étude de choix; là-bas, plus de la moitié des sociétés cotées en bourse sont détenues majoritairement par des familles.

Conseil équilibré, conflits évités

Les titres de participation permettent aux familles d’avoir à l’œil la gestion de leur entreprise, en offrant une fenêtre essentielle sur le travail des membres de la direction sans lien de parenté, qui doivent apporter une valeur ajoutée et assumer la responsabilité de leurs décisions. Les familles à la tête d’une entreprise prennent parfois des décisions pour des raisons familiales ou émotives, comme embaucher un proche qui n’est pas qualifié ou éviter des investissements prometteurs qui comportent des risques. Ces décisions peuvent engendrer des conflits, surtout auprès des actionnaires sans lien de parenté, et nuire au rendement financier de l’entreprise. Nos recherches nous ont permis de découvrir le modèle de gouvernance d’entreprise familiale qui permet le mieux aux membres de la famille de rester à l’affût des affaires tout en limitant les décisions idiosyncrasiques susceptibles de désavantager les actionnaires sans lien de parenté. Les entreprises familiales dont le CA est composé d’un juste nombre de membres avec et sans lien de parenté limitent les conflits et constatent des bénéfices sur leur rendement.

La composition idéale d’un CA ne se mesure pas en nombre ou en pourcentage de sièges. Le nombre de membres de la famille siégeant au CA doit plutôt représenter la même proportion que celle des parts qu’ils détiennent dans l’entreprise. 

La « zone Boucle d’or »

Dans nos recherches, nous avons établi la « zone Boucle d’or » de la représentation familiale au sein des CA d’entreprises familiales, c’est-à-dire le juste milieu qui permet d’optimiser le rendement.

Ainsi, la composition idéale d’un CA ne se mesure pas en nombre ou en pourcentage de sièges. Le nombre de membres de la famille siégeant au CA doit plutôt représenter la même proportion que celle des parts qu’ils détiennent dans l’entreprise. En effet, nous avons constaté que le rendement d’une entreprise familiale bénéficie le plus de la représentation des membres de la famille au CA lorsqu’elle est proportionnelle à leurs parts dans l’entreprise. Par exemple, si les membres de la famille détiennent 33 % des parts d’une entreprise, la représentation idéale à un CA de neuf sièges serait de trois membres de la famille (33 %). Le rendement est optimisé lorsque cette proportion est respectée. D’après nos analyses, dès que la représentation s’en écarte à la hausse ou à la baisse, le rendement en souffre.

Surreprésentation et sous-représentation familiale : quand l’entreprise perd l’équilibre

Le rendement d’une entreprise familiale diminue lorsque la famille occupe trop de sièges au CA. Dans le scénario d’une famille qui détient 33 % des parts, si nous remplaçons deux des six membres sans lien de parenté du CA par des membres de la famille, le nombre de sièges occupés par la famille passant de trois à cinq (sur neuf), nous constatons une baisse de 4,17 % à 3,33 % du rendement des capitaux propres ajusté en fonction du secteur, soit 20 % de moins. Pourquoi? Probablement parce que le plus grand pouvoir de la famille dans le CA lui permet de faire comme bon lui semble, les membres sans lien de parenté ne pouvant pas faire contrepoids.

Toutefois, la sous-représentation n’est pas mieux pour le rendement. Si le CA compte très peu de membres de la famille, la famille propriétaire n’a pas un assez grand droit de regard sur le travail des gestionnaires en poste. Évidemment, les propriétaires majoritaires d’une société cotée en bourse ont tout intérêt à ce que les décisions soient efficaces et efficientes. Reprenons le scénario d’une famille qui détient 33 % des parts. Imaginez que la famille n’occupe qu’un seul des neuf sièges au CA. Dans ce cas-ci, nous observons une baisse de 4,17 % à 2,12 % du rendement des capitaux propres ajusté en fonction du secteur, soit une baisse de 49 %. Pourquoi? Probablement parce que la famille n’a pas assez de pouvoir pour surveiller la direction et rectifier le tir, ce qui pointe vers des décisions de gestion moins optimales et un faible droit de regard du CA. Nous pourrions alors dire que la famille propriétaire exerce une « influence familiale latente2 ». Cette situation pose un risque que les gestionnaires ou membres du CA sans lien de parenté agissent dans leur intérêt, au détriment de celui des actionnaires.

 Une femme confiante en tailleur est assise à un bureau. Derrière elle, trois images encadrées d’ours en complet sont apposées au mur.

Un CA soigneusement pensé pour des retombées assurées
En étant bien renseignés sur la composition qui convient le mieux dans un contexte d’entreprise familiale, la famille propriétaire, les autres actionnaires, les conseillers et les conseillères peuvent solidifier le CA d’une entreprise familiale cotée en bourse.

Actionnaires sans lien de parenté
•    Si l’équilibre est juste, les autres actionnaires auront moins de réserves à propos de la présence de la famille au CA. La représentation de la famille au CA peut être bien vue si elle suit le principe de la « zone Boucle d’or », c’est-à-dire qu’elle est proportionnelle aux parts détenues dans l’entreprise. Lorsque c’est le cas, notre étude a démontré que la présence de membres de la famille est positive. Toutefois, les familles qui occupent une proportion trop faible de sièges au CA de leur entreprise peuvent subir les contrecoups de l’insuffisance de personnes aussi investies et consciencieuses qu’elles, ce qui pourrait expliquer en partie leur moins bon rendement.
•    Le nombre de sièges qu’occupe la famille au CA n’est pas statique et peut avoir à être revu en cas de changements dans les parts. Par exemple, lorsque la proportion des parts que détient la famille diminue (émission de nouvelles actions, fusion, acquisition, etc.), les actionnaires sans lien de parenté devraient prendre l’initiative de proposer une diminution du nombre de sièges occupés par la famille au CA afin de refléter la proportion des parts.

Propriétaires membres de la famille
•    Les propriétaires membres de la famille ne doivent pas hésiter à expliquer aux autres membres de la famille propriétaires, aux autres membres du CA et aux autres actionnaires les répercussions négatives d’une sous-représentation de la famille au CA. Comme nous l’avons découvert dans nos recherches, un nombre de sièges de la famille au CA d’une proportion inférieure à celle des parts dans l’entreprise peut créer un certain vide qui laisserait trop de liberté aux gestionnaires en poste, nuisant au rendement de l’entreprise.
•    Il est important que les propriétaires membres de la famille discutent avec la famille élargie des risques de sa surreprésentation au CA pour qu’elle sache à quoi s’attendre comme présence au CA au fil du temps. Le nombre de membres de la famille propriétaires pourrait augmenter plus vite que la croissance de l’entreprise. Il est primordial de veiller à ce que la proportion des sièges que la famille occupe au CA n’augmente pas automatiquement dès que des frères et des sœurs se greffent aux propriétaires qui ont fondé l’entreprise ou que des cousins et des cousines se joignent à l’aventure. Le mentionner dans la convention d’actionnaires pourrait être indispensable pour maintenir une représentation optimale des membres de la famille au CA proportionnelle aux parts dans l’entreprise au fil des générations.

Conseillères et conseillers
•    Les conseillères et conseillers doivent savoir que tout changement dans les titres de participation aura une incidence sur la proportion de membres de la famille qui détiennent des parts et qui siègent au CA. Par exemple, lors de l’élaboration de l’acte constitutif ou de la charte de l’entreprise familiale et des discussions sur la vision de la famille et sa participation au CA, les conseillères et conseillers devraient souligner que le nombre de sièges occupés par la famille au CA doit être proportionnel à ses parts dans l’entreprise et à son évolution.
•    Lors de l’élaboration de la convention d’actionnaires avec les propriétaires membres de la famille, il convient d’aborder les situations dans lesquelles un changement dans les parts que détient la famille (p. ex. : un membre de la famille vend ses parts à une autre personne sans lien de parenté) pourrait nécessiter une diminution du nombre de sièges occupés par les membres de la famille au CA.
•    Finalement, il est important que les conseillères et conseillers tiennent compte de l’évolution de la famille. Avant de céder les rênes aux enfants, les conseillers et conseillères peuvent prendre l’initiative d’expliquer aux propriétaires de la prochaine génération que l’augmentation du nombre de propriétaires qui sont membres de la famille doit se refléter dans le nombre de sièges occupés au CA par des membres de la famille et les aider à mettre en place un processus de sélection équitable pour retenir les personnes les mieux qualifiées.

Les avantages d’un juste équilibre
Dans les sociétés familiales cotées en bourse, la composition d’un bon CA ne tient pas qu’au nombre de membres indépendants et à la diversité. Selon nos recherches, il est important de connaître la proportion des parts dans l’entreprise que possèdent les membres de la famille pour la refléter dans le nombre de sièges au CA. Les actionnaires, membres de la famille ou non, doivent accueillir la présence des membres de la famille de manière à ce qu’elle soit positive, tout en atténuant les risques possibles. Cette approche aide à optimiser le rendement des entreprises et permet aux entreprises familiales de solidifier leur structure de gouvernance. En trouvant le juste milieu et en mettant en place les conditions qui permettent aux actionnaires membres de la famille de le maintenir malgré l’évolution du nombre de membres de la famille qui se joignent à l’entreprise ou s’en vont au fil du temps, l’ensemble des actionnaires peut tirer pleinement parti des atouts que représentent la gestion familiale et sa représentation au CA.

Références
1 Peter Jaskiewicz, James G. Combs, Klaus Uhlenbruck et Amlan Datta, « Revisiting the Impact of Families on Family Firm Performance », European Management Review 21, no 3 (2024) : p. 678–700, https://doi.org/10.1111/emre.12606 (en anglais seulement).

2 La notion d’influence familiale latente fait référence à la « faible influence qu’exerce la famille dans une entreprise familiale lorsqu’il y a peu d’interactions entre la famille et les systèmes de l’entreprise », traduction libre d’un extrait de Tim Barnett et Frank W. Kellermanns, « Are We family and Are We Treated as Family? Nonfamily Employees’ Perceptions of Justice in the Family Firm », Entrepreneurship Theory and Practice 30, no 6 (2006) : p. 837–854, https://doi.org/10.1111/j.1540-6520.2006.00155.x (en anglais seulement).


À propos des personnes ayant collaboré à cet article

Peter JaskiewiczPeter Jaskiewicz, Ph.D., fellow du Family Firm Institute (FFI) et récipiendaire du prix international du FFI 2024, est professeur titulaire à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, où il dirige la Chaire éminente en entreprises familiales Patricia-Saputo. Il est aussi directeur de l’Institut de l’héritage des entreprises familiales et rédacteur en chef adjoint pour le Family Business Review. Vous pouvez lui écrire à l’adresse : Peter.Jas@telfer.uOttawa.ca.

James G. CombsJames G. Combs, Ph.D., est titulaire de la chaire Della Phillips Martha Schenck en entreprise privée américaine à l’Université de Floride centrale. Il est aussi professionnel en résidence à l’Institut de l’héritage des entreprises familiales de l’Université d’Ottawa. Ses travaux de recherche portent principalement sur le franchisage, les entreprises familiales, la méta-analyse et la gouvernance d’entreprise. Vous pouvez lui écrire à l’adresse : James.Combs@ucf.edu.

Klaus UhlenbruckKlaus Uhlenbruck, Ph.D., est professeur émérite en gestion à l’Université du Montana. Il enseigne aussi la stratégie internationale à titre de professeur auxiliaire à l’EBS University de Wiesbaden, en Allemagne. Ses recherches portent sur les procédés entrepreneuriaux et les entreprises familiales, ainsi que sur la création de valeur sur les marchés émergents. Vous pouvez lui écrire à l’adresse : Klaus.Uhlenbruck@mso.umt.edu.

Amlan DattaAmlan Datta est doctorant en entrepreneuriat et entreprises familiales à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les problèmes liés à la gestion, à la structure de rémunération et aux résultats organisationnels des entreprises familiales. Il détient aussi un doctorat en économie de l’Université de Memphis. Vous pouvez lui écrire à l’adresse : adatt031@uOttawa.ca.


Katrina BarclayKatrina Barclay
est gestionnaire principale à l’Institut de l’héritage des entreprises familiales de l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa. Avant de faire le saut en recherche et en expertise-conseil sur les entreprises familiales, elle a fondé sa propre entreprise, qu’elle a dirigée pendant dix ans. Au début de sa carrière, elle a travaillé une dizaine d’années dans le domaine des médias et des communications pour des organisations comme la CBC et la BBC. Vous pouvez lui écrire à l’adresse : katrina.barclay@uOttawa.ca.