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Juneteenth et Jour de l’émancipation : Buy Black, un mouvement qui combat les inégalités économiques

Personne dans la fenêtre d'un commerce qui tient une enseigne lisant "Open"Le mouvement "Buy Black" encourage les gens à soutenir les entreprises noires. (Shutterstock)

Co-rédigé par Myriam Brouard, professeure adjointe à l'École de gestion Telfer.

Cet article est republié de The Conversation sous licence Creative Commons license. Lisez l'article original en anglais publié le 15 juin 2023.

Les États-Unis ont fait de Juneteenth un jour férié et le Canada a officiellement désigné le 1er août comme le Jour de l’émancipation. Ces consécrations témoignent des progrès notables réalisés au titre de l’égalité sociale en Amérique du Nord.

Juneteenth, un mot-valise formé des mots « June » et « nineteenth » (littéralement « dix-neuf juin »), vise à commémorer l’émancipation des populations noires jusqu’alors réduites en esclavage chez nos voisins du sud. En effet, le 19 juin 1865, l’ordonnance générale no 3 était promulguée. En instaurant la proclamation d’émancipation au Texas, ce décret rendait leur liberté aux derniers groupes d’esclaves aux États-Unis.

Au Canada et dans d’autres anciennes colonies britanniques, le Jour de l’émancipation revêt une signification similaire et a été institué pour commémorer l’entrée en vigueur de la "Slavery Abolition Act" de 1833, qui a permis la libération de plus de 800 000 personnes d’ascendance africaine et autochtone avec leurs familles dans le grand Commonwealth britannique.

Ces deux jours de célébration chargés de signification – Juneteenth et le Jour de l’émancipation – se veulent un hommage au dynamisme et à la résilience des communautés noires. Tous deux suscitent des conversations importantes et nous inspirent, personnellement et collectivement, à rechercher l’équité et l’inclusion sociale.

Cependant, malgré les progrès symboliques que célèbrent ces journées commémoratives, des inégalités subsistent pour bon nombre de membres des communautés noires d’Amérique du Nord, notamment leur exclusion des marchés de consommation.

"Buy Black", une contribution visible à un mouvement social

En réponse à cette exclusion, une initiative – ou plutôt un véritable mouvement social – a vu le jour : My Black Receipt.

Tirant parti du pouvoir des marchés, qui ont de tout temps été racisés, ce mouvement vise à combattre les inégalités systémiques et à promouvoir l’émancipation économique. Comment? En appuyant les entreprises noires (c.-à-d. exploitées par des personnes noires) et en amplifiant leur impact social.

Fondé par l’entrepreneure et activiste américaine Kezia Williams en juin 2020 pour coïncider avec la célébration de Juneteenth, My Black Receipt est un collectif numérique qui encourage l’achat auprès des entreprises noires.

Un groupe de personnes tenant des pancartes en faveur de Black Lives Matter et de l'égalité raciale.
Des personnes participent à la marche du Jour de l'émancipation, à Vancouver, le 1er août 2020. THE CANADIAN PRESS/Darryl Dyck

Publications dans les médias sociaux, apparitions publiques et site Web sont autant de moyens de sensibiliser les consommatrices et consommateurs aux avantages d’« acheter noir », tels que la création d’emploi et de richesse pour les communautés noires, et la défense des causes qui leur sont chères.

La plateforme My Black Receipt facilite la recherche d’entreprises noires et invite les membres du public à ajouter leurs reçus d’achat sur son site Web afin de démontrer l’impact collectif de ces achats. En juin 2023, le total s’élevait à près de 10 M$ US.

Un marché en ligne nouveau genre

Le collectif numérique a également apporté un vent de changement dans le monde des affaires. Par exemple, il s’est associé au site participatif d’avis Yelp pour aider les entreprises noires à s’identifier et pour aider le public à trouver et à appuyer les entreprises appartenant à des personnes noires.

Il a également conclu un partenariat avec l’initiative Pepsi Dig In qui vise à générer un volume de ventes de 100 M$ US pour les restaurants noirs en cinq ans.

Ce ne sont là que quelques exemples qui témoignent du succès de ce collectif numérique. My Black Receipt représente en fait une enclave numérique nouveau genre où les propriétaires d’entreprise et les consommatrices et consommateurs noirs ou alliés de la cause convergent en transcendant les frontières géographiques, ce qui la distingue des enclaves raciales et ethniques traditionnelles comme Black Wall Street, à Tulsa (Oklahoma), ou des nombreux quartiers chinois de ce monde. Le collectif My Black Receipt semble offrir des pistes de solution prometteuses afin de redresser les inégalités matérielles.

Par conséquent, notre équipe de recherche a voulu comprendre comment fonctionnent les enclaves numériques comme My Black Receipt ainsi que les facteurs qui contribuent à leur réussite.

Les facteurs de succès du collectif

Afin de mieux comprendre le mouvement My Black Recepit, nous avons mené une étude ethnographique en ligne avec nos collègues à l’aide de données provenant de plateformes de nouvelles numériques, de médias sociaux et de sites Web affiliés.

Notre équipe s’est intéressée au rôle des enclaves numériques en tant que moteurs d’inclusivité et d’équité du marché pour les consommatrices et consommateurs comme pour les propriétaires d’entreprise de la communauté noire.

Le mot-dièse #MyBlackReceipt a l’effet d’un symbole unificateur qui relie entre eux les sites de réseautage et les publications de manière à former une enclave numérique dynamique qui stimule l’action collective en appui à la communauté noire. Par ailleurs, plus les gens participent, plus ils contribuent à sa croissance et à son rayonnement.

Deux femmes noires passent devant un mur de briques sur lequel est peinte une peinture murale intitulée "Black Wall St.
Des personnes passent devant la fresque de Black Wall Street en avril 2021, à Tulsa, Oklahoma. La Black Wall Street originale a été détruite il y a une centaine d'années lorsqu'une foule blanche a ravagé le quartier d'affaires et le quartier résidentiel le plus prospère du pays, appartenant à des Noirs. (AP Photo/Sue Ogrocki)

Les organisatrices et organisateurs, et à leur tête des figures d’influence comme Kezia Williams, contribuent pour une large part à la raison d’être de l’enclave et au soutien qu’elle reçoit.

En cadrant ce mouvement par rapport aux questions d’inégalité, de liberté et de bien-être, ils l’inscrivent dans le grand courant de la lutte contre les obstacles systémiques.

Les organisatrices et organisateurs amplifient la portée de leur message en s’alliant à des médias reconnus comme CNN et en collaborant avec de grands noms comme Yelp et Pepsi, et parviennent ainsi à répandre le mouvement et à rallier les gens à leur cause.

Pour faciliter la coordination des efforts et en illustrer l’impact collectif, l’équipe a créé sur le site Web My Black Receipt une plateforme où l’on peut ajouter ses reçus d’achat et créer un tableau de bord permettant de visualiser les retombées de ses actions.

Grâce à ces pratiques et ces initiatives, l’enclave My Black Receipt prospère et propage un sentiment de communauté et de pouvoir. Elle contribue concrètement à la cause des entreprises noires et à l’équité économique.

Un outil pour réduire l’écart de richesse

Les enclaves numériques comme My Black Receipt cherchent à promouvoir la prospérité et l’accès au marché pour les membres de la communauté noire.

D’une part, les consommatrices et consommateurs noirs peuvent y trouver des produits qui répondent à leurs besoins et soutenir leur communauté sans avoir à éprouver ce sentiment de dévalorisation ressenti dans un marché majoritairement blanc, et d’autre part, les propriétaires d’entreprises se constituent une clientèle qui a à cœur de soutenir l’entrepreneuriat noir.

C’est une roue qui tourne en attirant et en retenant plus de richesse dans la communauté noire dans le but de réduire le vaste écart entre la communauté afro-américaine et la communauté blanche.

Aux États-Unis, le rapport de richesse entre Blancs et Noirs est de 100 $ pour 4 $, tandis qu’au Canada, les personnes noires gagnent en moyenne 12 000 $ par année de moins que leurs pairs de groupes non racisés.

Juneteenth et le Jour de l’émancipation sont de puissants moteurs de communication et d’action contre la discrimination et l’inégalité sociale. À l’instar des initiatives comme My Black Receipt, ces journées commémoratives contribuent à la lutte contre l’exclusion du marché et produisent des retombées concrètes.

En combattant la discrimination par des interventions directes dans le marché, ces mouvements créent de la richesse pour les communautés noires. Leur action s’inscrit dans la grande lutte pour la justice et l’équité de nos systèmes économiques.