Comment peut-on surmonter les obstacles à l’investissement responsable? Malgré d’encourageantes percées réalisées par la communauté de l’investissement responsable (IR), d’importants obstacles subsistent, déclare Darlene Himick, professeure adjointe à l’École de gestion Telfer, qui s’est récemment intéressée à l’IR dans l’optique des promoteurs de régime. Elle et Sophie Audousset-Coulier, de l’Université Concordia, ont analysé les pratiques d’évaluation et de suivi du rendement des actifs de 60 fonds de pension du secteur public au Canada pour déterminer ce qui les rend susceptibles de favoriser ou d’entraver l’adoption et l’application de l’investissement responsable. Ce travail s’inscrit dans le cadre de l’affiliation de Mme Himick avec l’Association des actionnaires pour la recherche et l’éducation, un organisme qui aide les fonds de pension à investir de manière responsable au moyen de pratiques telles que le vote par procuration et l’activisme actionnarial.
Le secteur financier et les gouvernements s’intéressent de plus en plus à l’intégration des principes de l’environnement, du social et de la gouvernance (ESG) dans l’analyse des investissements. On estime qu’en raison de leur influence économique, les grands investisseurs institutionnels devraient être les premiers à pratiquer l’investissement responsable. (Par exemple, le développement économique du Québec et le développement durable font partie des grands piliers stratégiques de la Caisse de dépôt, qui vient tout juste d’annoncer la conclusion d’une entente avec le gouvernement du Québec pour réaliser des projets d’infrastructures publiques dans la province.)
Par ailleurs, s’il est vrai que les fonds de pension se tournent de plus en plus vers l’investissement responsable, beaucoup d’observateurs s’étonnent de ce qu’ils n’aient pas été les artisans d’un changement encore plus grand.
Obstacles et possibilités
Dans leur étude, que vient tout juste de publier le prestigieux Journal of Business Ethics, Mme Himick et sa collègue ont utilisé des données empiriques jusqu’alors négligées en recherche universitaire : les énoncés des politiques et des procédures de placement adoptées par les fonds de pension. Leur étude analyse les façons de cadrer l’investissement responsable pour les conjuguer aux croyances et aux pratiques existantes.
Il est trompeur de penser que l’investissement responsable est « en hausse » sur la seule foi du volume des actifs gérés à ce titre, affirment les chercheuses, sans tenir compte de ce qui arrive à ces actifs une fois placés. « Cette notion [d’actifs gérés] n’est que partiellement informative et notre étude s’est penchée sur les pratiques d’évaluation des gestionnaires de placement et de structuration des investissements pour déterminer ce qui fait obstacle à la bonne mise en œuvre de l’investissement responsable. »
Le contexte dans lequel doit s’inscrire l’IR est particulièrement problématique, étant fortement influencé par le « court-termisme » caractérisant les pratiques de gouvernance des fonds de pension, lourdement influencées par la surveillance et la conformité. La majorité des fonds à l’étude cherchaient à faire un étalonnage trimestriel rigoureux afin d’atteindre des objectifs particuliers en matière de risque et de rendement. Vu ce contexte, un « cadre » dans lequel doivent entrer les pratiques d’IR, il est plus difficile pour les gestionnaires de placement d’adopter des horizons à long terme ou d’introduire des outils tels que l’activisme actionnarial et l’investissement ciblé.
Mme Himick conclut ainsi : « Si les gestionnaires de placement sont évalués selon des critères nuisant à leur capacité d’adopter des pratiques favorables à l’IR, nous continuerons à nous heurter à cette contradiction d’avoir apparemment réussi grâce à la croissance dans le secteur de l’IR tout en échouant à réaliser des changements significatifs ». Une solution serait de prendre acte de tels obstacles et d’harmoniser soigneusement et lentement le cadre financier existant avec des cadres différents dans lesquels les approches d’IR pourraient s’inscrire.