En s’attaquant à l’USAID, Trump nous rappelle que le développement international est aussi une affaire d’intérêts stratégiques

Rédigé par Nelson Dueñas, professeur adjoint à l'École de gestion Telfer, cet article est republié de La Conversation sous licence Creative Commons. Lisez l'article original en anglais, publié le 6 février 2025.
L’agence des États-Unis pour le développement international (USAID) est menacée de fermeture par le président Donald Trump.
Le 4 février dernier, le secrétaire d’État, Marco Rubio, annonçait la prise de contrôle de l’USAID par le département d’État américain et, dans la foulée, la mise en congé administratif de toutes les personnes directement employées par l’agence dans le monde entier.
Cette décision faisait suite aux critiques virulentes de Trump et de ses acolytes, qui l’accusent d’inefficacité. Le président a déclaré que l’agence « est dirigée par une bande de fous extrémistes, et nous les virons », tandis qu’Elon Musk, président de Tesla et employé spécial du gouvernement, a affirmé qu’« il est temps qu’elle meure ».
Or, la suppression de l’USAID aura de graves conséquences pour de nombreux pays de l’hémisphère Sud. Cette agence de développement, l’une des plus importantes au monde, vient en aide à des millions de personnes par ses nombreux programmes, dont ceux de soutien aux accords de paix en Colombie ou de lutte contre la propagation du VIH en Ouganda.
Le budget fédéral des États-Unis octroie chaque année environ 40 milliards de dollars américains à l’aide humanitaire et au développement. Si l’USAID est démantelée, nul ne sait où seront redirigés ces fonds ni quels seront les effets à long terme sur les efforts de développement international.
Gare au retour de flamme
Le spectre de la suppression de l’USAID fait craindre à des spécialistes du développement international d’éventuels contrecoups géopolitiques qui pourraient avoir des conséquences inattendues sur les États-Unis eux-mêmes.
Cette situation aggraverait les problèmes mondiaux liés notamment à la sécurité publique et aux changements climatiques. Les États-Unis risquent de perdre leur avance dans la course au pouvoir de convaincre en laissant derrière eux un vide que des pays comme la Russie ou la Chine pourraient s’empresser de remplir en occupant l’espace déserté par le plus grand programme d’aide internationale du monde.
Par conséquent, les États-Unis verraient pâlir leur influence en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie, où ils distribuaient jusqu’alors de l’aide à de nombreuses agences et organisations non gouvernementales et sans but lucratif.
Même si l’avenir de l’aide américaine reste incertain, d’autres puissances mondiales ont aussi un rôle à jouer. L’Europe, malgré ses ressources limitées, poursuit les objectifs du programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies.
Au-delà de l’aspect humanitaire
La fermeture de l’agence serait largement condamnée d’un point de vue moral et humanitaire. Cependant, elle répondrait à une logique d’intérêts stratégiques et idéologiques qui prévaut depuis longtemps dans le système de développement international. C’est ce qui ressort de mes années de recherche sur le terrain auprès d’organisations qui reçoivent des fonds de l’USAID, mais aussi de parties canadiennes et européennes.
Le développement international a pris son essor au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, alors que les grandes puissances rivalisaient pour établir un nouvel ordre mondial. Des accords internationaux et des organisations multilatérales ont vu le jour, et l’aide a commencé à affluer principalement des pays industrialisés.
Certes, les efforts de développement sont encadrés par de nombreuses initiatives internationales telles que les Objectifs du millénaire pour le développement et le Programme de développement durable à l’horizon 2030 des Nations Unies, mais les pays donateurs défendent également leurs propres intérêts.
Dans le cadre de mes travaux, j’ai rencontré de nombreuses personnes haut placées dans la chaîne d’aide extérieure, notamment au sein d’organisations non gouvernementales internationales et d’agences de coopération gouvernementales. Bon nombre de ces responsables affirment que les relations en matière d’aide au développement sont influencées à la fois par les intérêts des organisations donatrices et ceux des populations et organisations bénéficiaires.
Bien que l’intention première soit humanitaire, comme l’envoi de secours à une population sinistrée ou la défense des droits de la personne, ces aides peuvent être liées à des visées idéologiques, géopolitiques, économiques et sociales.
On peut donc voir la décision américaine de supprimer l’USAID comme une volonté de faire passer la sécurité et l’économie nationales avant l’action humanitaire. Les gouvernements se servent du développement international à des fins idéologiques et politiques, sans se soucier de la désapprobation d’une partie de leur population.
Le rôle du Canada
Les États-Unis ne sont pas les seuls à revoir leurs politiques de développement international. La Suède, aussi très présente dans la sphère de l’aide extérieure, est également en train de modifier sa stratégie de coopération en raison du changement au sein de son gouvernement et des critiques formulées par les ONG qui déploient l’aide au développement.
Que fera le Canada? On l’ignore pour l’instant. Avec le déclenchement d’élections fédérales provoqué par la démission du premier ministre et chef du Parti libéral Justin Trudeau, l’avenir de la stratégie de développement international du pays est incertain.
Sous le règne de Stephen Harper, cette stratégie était étroitement liée à l’expansion du commerce avec les pays en développement en vue d’optimiser la valeur des ressources extractives et à une politique de défense musclée. L’objectif était de créer de la valeur non seulement pour le pays bénéficiaire de l’aide, mais aussi pour le Canada.
Quand Justin Trudeau est arrivé au pouvoir, il a mis en place une stratégie progressiste axée sur le maintien de la paix, des objectifs féministes et des programmes humanitaires.
Le futur gouvernement va-t-il continuer de défendre les droits de la personne, la sécurité des populations et le progrès ou, au contraire, réduire les fonds affectés à l’aide extérieure, comme semble le souhaiter une bonne partie de la population canadienne?
Tout dépendra de l’orientation que prendront les responsables politiques et de l’opinion publique générale. Mais il y a fort à parier que l’approche de l’aide au développement continuera de concilier les obligations morales humanitaires et les intérêts stratégiques nationaux.