Services de santé : en refaire un vrai « système »
Services de santé : en refaire un vrai « système »
L’illusion d’un système de santé unifié
Il est 16 h 15. Vous êtes en attente au téléphone (c’est la troisième fois) pour joindre le cabinet d’un spécialiste. Vous venez juste de quitter l’hôpital, des feuilles sommaires d’hospitalisation à la main comme une liste de choses à faire : un de vos proches a besoin de soins de suivi, mais personne ne sait vraiment qui les organise. Avez-vous une impression de déjà-vu?
Quiconque a récemment fait appel à notre soi-disant « système » de santé sait bien qu’il manque souvent de systématisation.
Anne-Marie Parent, diplômée du programme de Maîtrise en gestion des services de santé (MGSS) de l’École de gestion Telfer, experte chevronnée et influente en soins de santé et conférencière TEDx, a vu les deux côtés de la médaille. Son verdict? Le problème ne vient pas d’une composante en particulier : nous sommes piégés dans un système de cloisons. En tant que professeure à temps partiel à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, elle enseigne l’informatique de la santé de même que le comportement et le changement organisationnels dans le cadre du programme de maîtrise en gestion des services de santé (MGSS) et MGSS pour cadres. Forte de plus de 20 ans d’expérience dans le secteur de la santé, elle intègre son riche savoir pratique à son enseignement en insistant sur la pensée systémique, la collaboration et la gestion du changement – car les conséquences du cloisonnement se répercutent sur des vies réelles, tous les jours.
Visionnez l’inspirante conférence TEDx de la professeure Parent (en anglais) pour en savoir plus.
Vases clos et fragmentation : les grands enjeux
Annie-Marie Parent ne passe pas par quatre chemins : « On gère les soins de santé comme une machine : on répare des pièces brisées en se demandant pourquoi ça ne marche toujours pas. »
Les hôpitaux? Bondés. Les urgences? Débordées. Les médecins de famille? Rares. L’Ontario à elle seule compte plus de 2,5 millions de citoyennes et citoyens sans médecin de famille . Et ce n’est pas qu’une statistique : c’est votre voisine, votre collègue, peut-être même vous.
Faute de soins primaires, la population se tourne vers les cliniques sans rendez-vous ou les urgences, et le cercle vicieux continue. Les lits d’hôpitaux se remplissent non seulement à cause de traumatismes et d’urgences, mais aussi à cause de crises évitables : une infection détectée trop tard, une personne âgée sans soutien à domicile, un suivi manqué…
Nous avons créé des cloisons : chaque prestataire fait de son mieux dans sa division. Or, la santé ne fonctionne pas en divisions. Tout joue sur tout, les frontières n’existent pas… Et pourtant, elles font partie de notre système.
Pensée systémique : une solution globale
C’est là qu’Anne-Marie Parent propose un autre angle.
Et si on arrêtait de considérer les soins de santé comme une chaîne de montage? Et si on les voyait comme un écosystème où tout est interrelié, fragile, vivant?
La pensée systémique nous invite à remplacer la question « Comment réduire le temps d’attente aux urgences? » par : « Pourquoi autant de gens s’y rendent-ils, déjà? ».
C’est plus qu’une question théorique. La professeure Parent nous rappelle qu’« en 2016, l’Institut de recherche en services de santé a relevé que 5 % seulement de la population ontarienne s’accaparaient 64 % des ressources en soins de santé ».
Il suffirait de mieux coordonner les soins à domicile, les soins primaires et l’éducation préventive pour éviter une partie de ces admissions.
C’est ce que la pensée systémique met en lumière : c’est bien de réparer les fuites, mais encore faut-il fermer le robinet.
Écoutez Anne-Marie Parent expliquer l’application pratique de la pensée systémique lors d’une conférence TEDx (en anglais).
L’autorité au-delà des titres : la responsabilité collective
À un moment des plus marquants de sa conférence, Anne-Marie Parent soutient que « l’autorité n’est pas réservée à la personne au sommet : chaque membre du système peut choisir d’en avoir ».
C’est juste. La pandémie nous a donné un aperçu d’un milieu où chacune et chacun est libre d’agir avec autorité. On pouvait voir un infirmier planifier des services à la communauté; une pharmacienne noter des tendances; ou encore, une analyste de données améliorer des systèmes de rendez-vous de vaccins.
Ce n’était pas pour chercher la gloire, mais simplement pour combler des lacunes qu’ils étaient seuls à remarquer. Voilà le genre d’autorité qu’il nous faut en santé : discrète, constante, collective.
Donc si vous étudiez au programme de MGSS, c’est à vous de jouer. N’attendez pas de recevoir un titre. Commencez tout de suite à jeter des ponts et à poser des questions qui dérangent, parce que le changement ne naît pas d’en haut : tout débute par la prise de conscience.
Accepter la complexité pour un changement durable
Soyons honnêtes, tout le monde veut des réponses simples… Mais en santé, la simplicité, c’est un piège!
Anne-Marie Parent le dit mieux que personne : « Ce qui fonctionne aujourd’hui pourrait ne pas fonctionner dans dix ans. » Ce n’est pas un problème à régler, mais bien une réalité à accepter.
Dans le même ordre d’idées, si le projet de soins de santé écologiques de l’École de gestion Telfer est si pertinent, c’est parce qu’il ne s’arrête pas à l’économie d’énergie. Bien au contraire, il entend réinventer le système tout entier pour que ce dernier soit responsable et durable. De l’approvisionnement au roulement de la patientèle, plus le système est écologique, plus il est résilient.
En somme, il est peut-être temps d’accepter la complexité plutôt que de demander des correctifs faciles, et les meilleures solutions sont peut-être celles auxquelles nous œuvrons collectivement.
Des correctifs temporaires aux solutions à long terme
On adore les cérémonies d’inauguration. Les conférences de presse. Les gros titres bien juteux.
Mais les systèmes de santé n’y gagnent pas grand-chose. Ce qui les fait fonctionner, ce sont les transferts de soins, la coordination discrète, les choses conventionnelles : les tableaux de bord communs, les cycles de consultation publique, les cheminements cliniques…
« Selon une récente publication de l’Association des hôpitaux de l’Ontario, une personne sur quatre de plus de 30 ans contractera une maladie majeure d’ici 2040; en 2002, on parlait plutôt d’environ une personne sur huit », explique Anne-Marie Parent.
La prévention, cela n’a rien de spectaculaire, mais c’est ce qui sauve des bras et des jambes, des vies et des millions de dollars.
Si l’on veut vraiment transformer le système de santé, il faut récompenser les victoires qui passent inaperçues, par exemple le fait qu’un patient n’a pas à se rendre à l’urgence grâce à la collaboration invisible de cinq divisions.
Une dernière chose : vous faites partie de la solution
Maintenant que tout est dit, qu’est-ce qu’on fait?
La conférence TEDx d’Anne-Marie Parent se termine par une question qui circule de bouche à oreille depuis : « Quel rôle jouerez-vous pour refaire de nos services de santé un vrai système? »
Cette piste de réflexion ne s’adresse pas qu’aux décisionnaires politiques ou aux têtes dirigeantes. Elle concerne tout le monde : les patientes et patients peuvent poser de meilleures questions; les étudiants et étudiants, repenser les anciens modèles; les praticiennes et praticiens, faire part de leur intuition à une autre division.
Vous cherchez l’inspiration? Regardez la conférence TEDx (en anglais) d’Anne-Marie Parent dans son intégralité.
Et si vous cherchez le savoir-faire nécessaire pour opérer un changement, sachez que la MGSS de l’École de gestion Telfer enseigne la pensée systémique à la relève pour en faire des leaders qui comprennent à la fois le budget et les interventions au chevet, et qui voient les possibilités au-delà des cloisons.
Le système, ce n’est pas une autorité lointaine quelque part : c’est nous, ici et maintenant.
Et il est temps d’en rétablir la cohésion.
[1] Collège des médecins de famille de l’Ontario (11 juillet 2024). New Data Shows There Are Now 2.5 Million Ontarians Without a Family Doctor. Sur Internet : https://ontariofamilyphysicians.ca/news/new-data-shows-there-are-now-2-5-million-ontarians-without-a-family-doctor/